Lettre d’opinion publiée dans The Globe and Mail.

Les effets de la COVID-19 sur l’économie canadienne peuvent être mesurés de diverses façons. Certains de ces effets sont évidents : des millions de personnes qui ne peuvent pas travailler, des milliers d’entreprises contraintes à fermer leurs portes et des dépenses gouvernementales en situation d’urgence qui s’élèvent à plus de 250 milliards de dollars.

À l’inverse, l’effet de la pandémie sur l’immigration est moins évident, bien qu’il puisse s’avérer d’autant plus considérable pour la santé de l’économie du Canada à long terme.

La capacité du Canada à attirer de nouveaux arrivants a longtemps été l’une des plus grandes forces et l’un des plus grands avantages compétitifs du pays. L’immigration enrichit le tissu social de la nation tout en stimulant l’économie, contribuant à pallier le faible taux de natalité et une population vieillissante.

Les immigrants amènent énergie, compétences, idées innovantes et esprit d’entrepreneuriat. Ils démarrent des entreprises, remédient à des pénuries, achètent des maisons et payent des taxes.

Il n’est pas exagéré de dire, comme le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marco Mendicino, l’a déclaré dans un discours au Canadian Club of Toronto le 28 février dernier, que l’avenir du Canada « dépend de l’immigration ».

Le ministre n’aurait pu prévoir à ce moment-là que moins d’un mois plus tard, le Canada interviendrait face à la pandémie mondiale de COVID-19 en fermant temporairement ses frontières à tous les voyageurs étrangers non essentiels.

Du jour au lendemain, l’accueil de nouveaux immigrants par le pays, lesquels étaient prévus atteindre les 341 000, se fait au compte-goutte.

En avril, le Canada a seulement accueilli 4 140 nouveaux résidents permanents, ce qui est 85 % moins que le nombre atteint en avril 2019. Depuis, le rythme des admissions a graduellement repris, atteignant les 11 000 en mai et les 19 200 en juin.

Néanmoins, au rythme actuel, nous pouvons nous attendre à accueillir 170 000 résidents permanents de moins que prévu cette année, selon un rapport récent d’Économique RBC.

Le ralentissement de l’immigration signifie que la population du Canada vit présentement sa plus lente croissance depuis 2015. Cela aura des conséquences importantes sur de nombreux secteurs, dont la construction résidentielle, les industries touchées par des pénuries de main-d’œuvre et le système d’éducation postsecondaire du pays.

Le Canada se classe actuellement en troisième position des destinations les plus prisées par les étudiants internationaux. En 2019, 642 000 étudiants étrangers ont injecté plus de 22 milliards dans l’économie, soutenant ainsi 170 000 emplois.

La bonne nouvelle est que, malgré le nouveau coronavirus, les responsables canadiens continuent de traiter les demandes de résidence permanente et temporaire, bien qu’à un rythme réduit en raison des mesures de distanciation physique et d’autres restrictions imposées en lien avec la pandémie.

De plus, le ministre Mendicino a éliminé à tout le moins certains des obstacles auxquels font face les futurs immigrants. Récemment, il a introduit une voie d’accès unique en vue d’obtenir la résidence permanente pour les demandeurs d’asile qui sont des travailleurs de la santé de première ligne ou des travailleurs en soins de santé de longue durée.

Le ministre Mendicino a également annoncé que les visiteurs du Canada possédant une offre d’emploi valide pourront présenter une demande de permis de travail sans avoir à respecter l’exigence de sortie du pays. La politique temporaire a pour but d’aider les employeurs qui font toujours face à des défis en matière de recrutement et d’embauche de travailleurs internationaux pendant la pandémie.

De telles mesures sont accueillies favorablement, même si elles n’augmenteront pas considérablement le faible taux d’immigration que connaît le Canada.

On ne peut ignorer le fait que plus longtemps persistera la pandémie de COVID-19, plus difficile il sera pour le pays de respecter son objectif d’accueillir plus d’un million de nouveaux résidents permanents entre 2020 et 2022.

Que peut-on faire pour combler cette lacune? Anna Triandafyllidou, la chaire d’excellence en recherche du Canada sur la migration et l’intégration à la Ryerson University, a proposé une solution pour les personnes très compétentes possédant une offre d’emploi au Canada, mais qui sont incapables de venir ici en raison des restrictions concernant les voyages. En vertu des lois, ces personnes ne peuvent obtenir de permis de travail ou de numéro d’assurance sociale (NAS) avant d’être entrées au pays, ce qui signifie qu’elles ne peuvent être payées.

La solution, affirme Mme Triandafyllidou, est la technologie. Son idée consiste à délivrer des permis de travail virtuels et des NAS temporaires qui permettraient à ces « immigrants virtuels » de commencer à travailler à distance pour leurs employeurs canadiens en attendant que l’urgence sanitaire se résolve.

Outre cela, l’immigration doit être un pilier du plan de relance économique du Canada à la suite de la pandémie. En novembre, le gouvernement fédéral devrait présenter son prochain plan pluriannuel en matière d’immigration. Celui-ci devrait changer en vue de rattraper le retard accumulé en augmentant les objectifs fixés pour 2022 et au-delà. La croissance devrait se concentrer sur les nouveaux arrivants issus de la catégorie économique, soit ceux admis dans le cadre des programmes Entrée express, du Programme des candidats des provinces, des programmes du Québec et d’autres voies d’entrée fédérales comme le Programme pilote d’immigration au Canada atlantique.

Les facteurs démographiques qui orientent le besoin d’immigrants du Canada sont demeurés les mêmes malgré la COVID-19, à l’instar du soutien du public à l’immigration. Dans un sondage Léger mené cet été, les répondants se sont entendus, à raison de trois pour un, sur le fait que les nouveaux arrivants aideront à la relance économique du Canada plutôt que d’y nuire. Le plus tôt le système d’immigration du Canada se remettra en marche, le mieux cela sera.

Goldy Hyder est le président et le chef de la direction du Conseil canadien des affaires.