Comme publié dans La Presse

Les annonces phares du gouvernement du Canada et du gouvernement du Québec pour attirer des entreprises étrangères dans la filière batterie se succèdent à un rythme effréné. On ne compte plus les milliards de dollars en subventions directes.

De passage devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain la semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau a affirmé : « Bâtir des industries en santé tendant vers la carboneutralité va rapporter beaucoup plus que de prendre cet argent pour diminuer la dette. »

Il y a quelque chose de profondément simpliste et malsain dans ce modèle économique du chéquier public d’attraction d’entreprises étrangères. Il ne s’agit évidemment pas de proscrire ou de décourager les investissements étrangers – ils sont certes nécessaires dans une économie de taille moyenne comme la nôtre –, mais de là à les considérer comme une sorte de potion magique de la croissance économique à long terme, il y a un long fleuve à parcourir.

D’une part, dans un marché de l’emploi caractérisé par la pénurie de main-d’œuvre, on ne fait en réalité que déplacer des emplois d’une entreprise à l’autre, largement au détriment des PME.

D’autre part, on peut se demander s’il est bien avisé de mettre tous ses œufs dans un secteur où la compétitivité nord-américaine est loin d’être assurée dans l’avenir. Pour le moment, nos coûts de production restent élevés et la Chine a une avance considérable en termes de chaîne d’approvisionnement. Il y a des secteurs où nous sommes mieux positionnés : l’eau et l’énergie, l’intelligence artificielle et la robotique, la biotechnologie, l’aérospatiale, l’agroalimentaire, les infrastructures et les matériaux avancés.

Enfin, ces « investissements » ne créent pas dans les faits d’innovation et de propriété intellectuelle québécoise et canadienne. On importe essentiellement des technologies d’ailleurs qui ne donneront lieu au net qu’à très peu de rentes économiques pour le Québec et le Canada. Il faudrait plutôt prioriser la recherche industrielle locale dans nos industries porteuses d’innovation et de productivité.

Idée périlleuse

L’idée que les subventions gouvernementales aux entreprises étrangères en elles-mêmes vont faire du Québec et du Canada des économies plus innovantes est périlleuse. Les Américains, les Allemands, les Sud-Coréens, les Israéliens et les Néerlandais, pour ne nommer que ceux-là, ont depuis longtemps compris l’apport fondamental de leurs institutions publiques de recherche et l’importance de la coordination dans leurs écosystèmes d’innovation.

L’innovation passe par la force d’un écosystème fort de recherche et développement (R et D) qui est transférable dans les entreprises québécoises et canadiennes. En termes simples, il faut se concentrer sur la façon (les mécanismes et les incitatifs) dont nous traduisons le capital intellectuel, la R et D publique en plus de R et D privée et en fin de compte en plus d’innovation et de croissance économique.

Pour ce faire, il faut créer et bâtir des ponts et des institutions de collaboration entre les secteurs public et privé.

C’est à la base du modèle ARPA aux États-Unis qui a été déployé dans le secteur de la défense (DARPA), de l’énergie (ARPA-E), de la recherche biomédicale (BARDA) et plus récemment de la santé (ARPA-H). Nous pourrions aisément ajouter à cette liste la NASA (aérospatiale) qui fonctionne sensiblement avec les mêmes paramètres. C’est à la base du modèle Max Planck et Fraunhofer en Allemagne. C’est à la base du modèle des LabEx en France. C’est à la base du modèle TNO aux Pays-Bas, un pays deux fois plus petit en taille que le Nouveau-Brunswick, mais deuxième exportateur mondial en agriculture.

Le Canada et le Québec ont besoin, en tant qu’élément clé de leur stratégie industrielle sectorielle, d’une incarnation moderne de ce qu’étaient autrefois les laboratoires d’entreprise (corporate labs) dans ses industries innovantes – où la recherche industrielle effectuée en collaboration entre les gouvernements, les universités et les entreprises a donné lieu pendant des décennies à une véritable innovation à grande échelle dans l’économie.

Convertir des idées et des connaissances en produits, en services et en propriété intellectuelle demeure un défi formidable. Faire de la politique industrielle par le truchement de subventions aux entreprises étrangères et croire que nos universités sont des « innovateurs » est une recette qui mènera à la stagnation économique. Une politique industrielle moderne nécessite une infrastructure institutionnelle pour soutenir l’application moderne de la science et de la technologie dans des industries locales hautement compétitives et avancées. Le Canada et le Québec ont beaucoup de mécanismes d’appui qui sont en sommes assez périphériques, mais peu ou pas de véritables générateurs d’innovation. Nous n’avons pas au Canada de DARPA, de Fraunhofer, de LabEx ou de TNO.

Il faut préconiser un modèle de croissance économique où la propriété intellectuelle émanant de notre financement public de R et D favorisera la croissance d’entreprises canadiennes par l’innovation et l’adoption technologiques. En fin de compte, c’est cela qui fera bouger l’aiguille de la productivité.