Monsieur le Ministre,

Pendant plusieurs décennies, les gouvernements fédéraux qui se sont succédé ont reconnu l’importance de veiller à ce que le fardeau fiscal des entreprises canadiennes puisse rivaliser avec les normes internationales, particulièrement avec les taux d’imposition de nos principaux partenaires commerciaux. Les gouvernements doivent donc, en théorie, surveiller attentivement les normes internationales en évolution et s’y adapter pour éviter de perdre des emplois, des investissements et des revenus d’impôt au profit d’autres gouvernements. Cette politique a bien servi le Canada par le passé. Alors que les taux ont progressivement diminué, les revenus tirés de l’impôt des entreprises ont augmenté et le ratio du revenu imposable des sociétés par rapport au produit national brut (PNB) est demeuré stable.

L’adoption récente d’une réforme fiscale radicale aux États-Unis, qui est de loin le changement le plus important lié à l’impôt des entreprises sur la scène internationale depuis des décennies, présente un défi évident. À notre avis, le Canada doit agir rapidement pour renforcer la compétitivité de son taux d’imposition des entreprises. Il doit toutefois déterminer comment s’y prendre.

Vers la fin de l’an dernier, dans une lettre qui renfermait des recommandations pour votre prochain budget, je vous encourageais à suivre les conseils du Conseil consultatif pour la croissance économique, mis sur pied par le gouvernement fédéral. Dans son rapport final, le Conseil demandait qu’un groupe d’experts indépendant procède à un examen du régime fiscal. Pour reprendre les propos du Conseil, un tel groupe devrait se pencher sur des modifications aux taux d’imposition personnels et des entreprises, sur l’équilibre entre les types d’imposition et sur l’utilisation d’instruments fiscaux conçus pour appuyer les investissements.

Au moment de la rédaction du présent rapport à l’automne de 2017, l’issue des délibérations concernant la réforme fiscale aux États-Unis était toujours incertaine. L’examen approfondi que recommandait le Conseil consultatif est, de toute évidence, encore plus pertinent maintenant que le gouvernement américain a fait passer le taux d’imposition fédérale des entreprises de 35 % à 21 %, qu’il a autorisé des dépenses importantes pour de la machinerie et de l’équipement et qu’il a adopté de nouvelles règles fiscales internationales, rehaussant ainsi radicalement la compétitivité du contexte commercial.

Monsieur le Ministre, de croire que ces mesures n’auront pas de graves répercussions sur les futurs investissements commerciaux au Canada serait faire preuve de la plus grande irresponsabilité. Si le régime fiscal canadien pour les entreprises était concurrentiel sur la scène internationale avant la réforme américaine, un point sur lequel la plupart des experts s’entendent, il ne l’est certainement plus maintenant. Au contraire, le taux d’imposition fédéral et provincial combiné moyen pour les entreprises au Canada, qui s’élève à 26,7 %, est dorénavant de trois points de pourcentage supérieur à la moyenne du taux des économies avancées dans le monde. Et les États-Unis ne sont pas les seuls à réformer leur régime d’imposition des entreprises. Le Royaume-Uni devrait diminuer son taux d’imposition des sociétés de 17 % d’ici 2020, alors que la France prévoit réduire son taux à 25 % d’ici 2022. D’autres pays concurrents feront sûrement de même.

Le taux effectif marginal d’imposition (TEMI) sur les nouveaux investissements commerciaux est encore plus préoccupant que les taux réglementaires du Canada, qui sont élevés comparativement à ceux d’autres pays. Pendant plus d’une décennie, le TEMI se situait bien en deçà du taux des États-Unis; les entreprises avaient donc un incitatif à investir et à créer des emplois au Canada plutôt qu’en dehors de nos frontières. Cependant, l’adoption du projet de loi sur la réforme fiscale a fait en sorte que le TEMI des États-Unis a chuté radicalement, passant de 34,6 % à tout juste 18,8 %; il s’agit d’un écart de 20,3 % avec le TEMI du Canada. L’avantage fiscal dont disposaient les entreprises de notre pays s’est dissipé du jour au lendemain et le Canada est devenu le pays le plus coûteux dans lequel investir.

Monsieur le Ministre, à Davos le mois dernier, vous avez dit à Bloomberg Television que votre ministère examinait attentivement les répercussions des modifications apportées au régime fiscal des entreprises aux États-Unis et que le Canada avait l’intention de demeurer compétitif. Nous vous prendrons au mot, tout en reconnaissant comme vous que le Canada, une petite économie ouverte qui dépend largement de ses exportations vers les États-Unis, n’a pratiquement pas d’autre option. Un gouvernement qui s’est engagé à favoriser la prospérité de l’économie canadienne à long terme et la croissance de la classe moyenne ne peut tout simplement pas faire autrement.

Nous désirons réitérer l’importance pour le Canada d’intervenir dès maintenant. Partout en Amérique du Nord et dans le monde entier, les entreprises de tous les secteurs évaluent les répercussions des changements fiscaux aux États-Unis et prennent des décisions qui auront des conséquences à long terme pour les employés et les collectivités dans lesquelles ils vivent et travaillent. Nous demeurons convaincus qu’il faille examiner attentivement le régime fiscal canadien, mais nous sommes également conscients qu’un tel exercice peut prendre des mois, voire des années.

C’est pourquoi nous vous invitons à prendre des mesures décisives pour inspirer confiance au secteur privé, décourager la perte de capitaux et accroître les incitatifs pour les nouveaux investissements commerciaux. La façon la plus directe d’y parvenir serait d’inclure dans le budget de 2018 une mesure fiscale temporaire qui permettrait aux entreprises de déduire immédiatement le montant total de leurs dépenses en immobilisations plutôt que d’amortir ces dépenses sur plusieurs années. Notons, parmi les autres options, les suivantes :

  1. Annoncer une réduction immédiate du taux d’imposition des entreprises en s’engageant à faire en sorte que le taux réglementaire combiné moyen soit inférieur à la moyenne de l’OCDE à moyen terme;
  2. Éliminer l’exigence de « possibilité d’utilisation » pour que les entreprises puissent déduire le coût des investissements au fur et à mesure que l’argent est dépensé plutôt que d’attendre que les projets soient achevés;
  3. Retarder la mise en œuvre des nouvelles règles sur les placements passifs détenus par des sociétés privées afin de permettre une analyse économique approfondie concernant leur incidence sur les investissements commerciaux et la croissance des entreprises.

En terminant, je vous assure que les membres du Conseil canadien des affaires sont fermement engagés à favoriser la prospérité de l’économie canadienne à l’échelle mondiale et à créer de nouvelles occasions et de meilleures circonstances opportunes pour tous les citoyens de notre pays. Nous sommes reconnaissants que vous assumiez un rôle de chef de file et nous aimerions avoir la possibilité de discuter de ces recommandations avec vous dans les meilleurs délais.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de ma très haute considération.

John Manley