Contexte

En 2020, le gouvernement du Canada a fortement augmenté ses dépenses dans le but de protéger les Canadiens des pires effets économiques de la pandémie de COVID-19. Aussi importantes que ces mesures aient été à l’époque, cette politique budgétaire expansionniste s’est soldée par un déficit massif de 328 milliards de dollars pour l’exercice 2020-2021 et un ratio de la dette au PIB qui a explosé à 52 %, le niveau le plus élevé du siècle et nettement supérieur au ratio moyen d’environ 35 % atteint depuis la grande crise financière de 2008. Selon l’Énoncé économique de l’automne de 2022, la dette du gouvernement fédéral devrait atteindre 1 177 000 milliards de dollars le 31 mars  2023 (tableau A1.5, ÉÉA), contre 685,5 milliards de dollars trois ans plus tôt (tableau 1, Rapport sur la gestion de la dette2018-19).

Lors de la préparation des budgets, le gouvernement doit tenir compte de la viabilité budgétaire et du service de la dette. Dans ce contexte, l’image que le plan budgétaire actuel du gouvernement donne de la trajectoire financière du pays pourrait ne pas être complète.

L’importance des ancrages budgétaires

Les ancrages budgétaires désignent les plafonds ou les limites théoriques des niveaux de dépenses publiques, de déficits et de dette que les gouvernements sont prêts à atteindre dans le cadre de leur politique budgétaire. Ils répondent à plusieurs objectifs, notamment : 

  • conserver la confiance des prêteurs et des marchés mondiaux (c’est-à-dire l’accès au crédit à des taux favorables); 
  • instaurer un climat d’investissement positif pour les entreprises; 
  • donner une mesure de la discipline fiscale au sein du gouvernement;
  • permettre au gouvernement de répondre aux futurs chocs économiques et aux crises imprévues. 

Le ratio dette/PIB et le ratio charges d’intérêts/revenus

Deux ratios différents, celui de la dette/PIB et celui des charges d’intérêts par rapport aux revenus, constituent des indicateurs utiles de la viabilité économique et politique de l’accès d’un gouvernement aux marchés des capitaux et donc de la viabilité de ses finances publiques.

Pour l’un ou l’autre de ces ratios, il n’existe pas de chiffre précis au-delà duquel les finances publiques du gouvernement deviennent insoutenables et l’accès aux marchés de capitaux problématique. Une hypothèse courante au sujet des déficits veut que tant que les taux d’intérêt (c’est-à-dire les taux obligataires sur la dette reconductible) restent inférieurs à la croissance du PIB, le ratio de la dette au PIB demeure sous contrôle et la dette globale est gérable. Le problème, bien sûr, est que lorsque les taux d’intérêt augmentent, le coût du service de la dette devient nettement plus cher à financer.

Un ratio des charges d’intérêts par rapport aux revenus supérieur à 10 % et un ratio de la dette fédérale au PIB à 50% qui ne s’amenuise pas progressivement signalent des risques de non-viabilité. Cela dit, pour qu’ils soient utiles, ces indicateurs doivent être calculés sur une base prospective fondée sur des hypothèses réalistes. Si ces dernières années nous ont bien appris quelque chose, c’est que l’avenir est imprévisible et que les plans budgétaires doivent tenir compte de l’évolution incertaine des conditions économiques et géopolitiques.

L’objet de cet article

L’article « Évaluation des risques pour la viabilité du plan budgétaire actuel du gouvernement du Canada » examine la façon dont deux ancrages budgétaires, le ratio de la dette au PIB et le ratio des charges d’intérêts par rapport aux revenus sont susceptibles d’évoluer d’ici 2032-2033.  Il évalue les conséquences de ces deux ancrages à partir de cinq scénarios économiques, dans le but guider l’adoption de mesures de politique budgétaire durables.

L’analyse s’amorce sur un scénario de base qui intègre les politiques de dépenses et d’imposition fiscales ainsi que les hypothèses économiques énoncées dans l’Énoncé économique de l’automne 2022 (ÉÉA 2022) du gouvernement fédéral.

L’article examine ensuite l’évolution des deux ratios budgétaires dans le cadre de quatre scénarios alternatifs :

  1. une augmentation des dépenses par rapport au scénario de base à partir de 2024;
  2. une véritable récession en 2023;
  3. une offre plus faible engendrant une hausse permanente des taux d’intérêt;
  4. une combinaison de ces trois scénarios, soit une récession en 2023 accompagnée d’une offre plus faible à moyen terme et d’une augmentation des dépenses tout au long de la période.

Les risques liés aux hypothèses budgétaires et économiques actuelles du gouvernement fédéral

Comme le suggèrent les différents scénarios, les hypothèses budgétaires et économiques actuelles du gouvernement fédéral comportent trois risques principaux :

  1. Un risque que les hypothèses actuelles sur les dépenses envisagées, par habitant, aient été sous-estimées pour que le gouvernement puisse atteindre les objectifs politiques qu’il s’est fixés. Les auteurs estiment que pour maintenir les dépenses réelles de programmes par habitant au niveau de 2023-2024 jusqu’en 2027-2028, 60 milliards de dollars de dépenses de programmes supplémentaires devraient être ajoutés au cadre financier, par rapport à ce qu’indique L’ÉÉA 2022.
  2. Un risque qu’il ne soit pas possible de ramener le taux d’inflation à 2 % d’ici la fin de 2024 sans une hausse des taux directeurs en 2023 et donc une récession plus profonde cette année-là.
  3. Un risque que les contraintes d’offre ne deviennent une constante des économies mondiale et canadienne, ce qui se traduirait, de façon permanente, par des taux d’intérêt plus élevés.

Les auteurs remarquent que dans ce scénario de base, aucun de ces trois risques n’est susceptible de se produire seul sans que l’un ou les deux autres risques ne surgissent également.

Dette/PIB et charges d’intérêt/recettes dans cinq scénarios budgétaires

BaseAugmentation des dépensesRécession en 2023Offre réduiteAugmentation des dépenses + Récession + offre réduite
Dette/PIB (%)Charges d’intérêts/recettes (%)Dette/PIB (%)Charges d’intérêts/recettes (%)Dette/PIB (%)Charges d’intérêts/recettes (%)Dette/PIB (%)Charges d’intérêts/recettes (%)Dette/PIB (%)Charges d’intérêts/recettes (%)
2022-202346,07,846,07,8  46,77,846,07,846,77,8
2023-202446,09,446,09,449,910,446,09,449,910,4
2024-202545,38,845,58,950,010,045,69,050,310,1
2025-202644,28,644,78,949,210,044,99,350,110,4
2026-202742,78,443,98,947,910,043,99,649,910,7
2027-202841,29,243,210,046,711,243,110,849,912,3
2032-203335,18,640,710,242,410,539,811,651,214,1

Les conséquences

Selon l’analyse, le risque que le ratio dendettement et le ratio des charges d’intérêt dépassent des seuils acceptables dici la fin de la décennie est sérieux, à la fois parce que les conditions économiques s’avéreront plus difficiles que celles évoquées dans l’Énoncé économique de l’automne 2022 et parce que les dépenses budgétisées se révéleront insuffisantes pour atteindre les objectifs politiques promis. Dans les quatre scénarios alternatifs présentés par les auteurs de l’article, l’ancrage de 10 % des charges d’intérêts par rapport aux revenus serait atteint au cours de la prochaine décennie.

Toutes choses étant égales par ailleurs, plus le gouvernement prélève de ses recettes pour financer sa dette, moins il dispose de fonds pour financer les services essentiels et les programmes sociaux destinés aux Canadiens ou les transferts aux provinces pour des programmes comme la santé et l’éducation.