Analyse des points d’ancrage budgétaires du gouvernement fédéral

Pourquoi la troisième fois ne sera pas la bonne

Bref historique des points d’ancrage budgétaires depuis 2020

Dans son premier Énoncé économique de l’automne (EEA) en tant que ministre des Finances en 2020, Chrystia Freeland a présenté un nouveau « garde-fou » budgétaire. Il visait à ancrer les dépenses du gouvernement aux résultats du marché du travail. Le « garde-fou » indiquerait au gouvernement quand réduire les dépenses de stimulation post-COVID-19. Lorsque le marché du travail s’est redressé beaucoup plus rapidement que prévu, le point d’ancrage a rapidement disparu.

Dans le Budget de 2022, la baisse du ratio de la dette au PIB a été réintroduite en tant que point d’ancrage budgétaire du gouvernement. Mais en 2022-2023, le ratio a augmenté, et non diminué. Ce sera probablement à nouveau le cas pour 2023-2024.

Dans l’EEA de novembre dernier, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il se concentrerait désormais sur les objectifs budgétaires suivants dans le cadre de la préparation du Budget de 2024 :

  • Maintenir le déficit 2023-24 à un niveau égal ou inférieur à la projection du Budget de 2023 de 40,1 milliards de dollars.
  • Réduire le ratio de la dette au PIB par rapport à l’EEA 2023, et le garder sur une trajectoire descendante par la suite.
  • Maintenir un ratio du déficit au PIB sur une trajectoire descendante en 2024-25 et garder les déficits en dessous de 1 % du PIB en 2026-27 et dans les années à venir.

Implications budgétaires de la réalisation de l’objectif d’un pour cent du PIB en 2026-2027

Selon l’EEA 2023, le PIB nominal du Canada devrait s’élever à 3 200 milliards de dollars en 2026, ce qui impliquerait que le déficit ne dépasserait pas 32 milliards de dollars pour atteindre l’objectif de 1 % fixé par le gouvernement.

Afin de déterminer si le chiffre de 1 % du PIB pour le déficit est un objectif budgétaire réaliste pour 2026, nous présentons dix observations:

  1. Entre 2017 et 2022, le gouvernement fédéral a enregistré des déficits représentant en moyenne 1,4 % du PIB, après correction des fluctuations de l’activité économique.

  2. Du budget 2016-2017 (le premier budget du gouvernement Trudeau) au budget 2023-2024, les projections de dépenses sont passées de 291 milliards de dollars pour 2016-2017 à 496 milliards de dollars pour 2023-2024, soit de 14,6 % du PIB à 17,3 % du PIB.

  3. Dans le budget 2016-2017, l’écart entre les recettes et les projections de dépenses pour 2016-2017 était de 0,2 % du PIB (recettes de 14,4 % du PIB contre dépenses de 14,6 % du PIB). Cet écart a atteint 1,4 pour cent du PIB pour 2023-2024 dans le budget 2023-2024 (recettes de 15,9 pour cent contre dépenses de 17,3 pour cent).

  4. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral n’a réussi à enregistrer un déficit inférieur à 1 % du PIB qu’à deux reprises lorsque les dépenses dépassaient le seuil de 17 %. C’était entre 1996 et 1998, tout au début d’une période de dix ans d’assainissement budgétaire. En fait, les déficits ont atteint en moyenne plus de 4 % du PIB au cours des années où les dépenses ont dépassé 18 % du PIB.

  5. Les projections de dépenses de ce gouvernement ont été extrêmement peu fiables sur la période de prévision de cinq ans. Bien que le gouvernement continue d’afficher un déficit en baisse, tant en valeur nominale qu’en matière du ratio de la dette au PIB, la réalité est plus complexe.

Projections de dépenses (milliards de dollars)

Exercice financierEEA 2023EEA 2022Budget de 2022Différence entre B2022 et EEA 2023
2023-2024 496.3493.1436.759.7
2024-2025 521.9504.8441.680.3
2025-2026 540.7515.3453.986.8
2026-2027554.5523.7461.593

Comme le montre ce tableau, 319,8 milliards de dollars de nouvelles dépenses ont été ajoutés au cadre budgétaire sur quatre exercices financiers, du budget d’avril 2022 à l’Énoncé économique de l’automne de novembre 2023. En moins de deux ans, les projections de dépenses ont considérablement augmenté.

Ce montant serait beaucoup plus élevé si l’on remontait plus loin dans le temps.

Par exemple, dans le Budget de 2019, le gouvernement a prévu 429 milliards de dollars de dépenses totales pour 2024-2025. Toutefois, dans l’Énoncé économique de l’automne de novembre dernier, les dépenses prévues pour 2024-2025 sont passées à 522 milliards de dollars, soit une différence de 101 milliards de dollars.

  1. Le gouvernement est confronté à d’importantes pressions en matière de dépenses pour l’avenir. Tout d’abord, l’entente de soutien et de confiance entre le Parti libéral et le NPD comprend un engagement en faveur d’un programme national d’assurance-médicaments dont le coût annuel pourrait s’élever à 18 milliards de dollars. Deuxièmement, le Canada est confronté à d’importants vents contraires démographiques qui auront des répercussions sur les coûts de la Sécurité de la vieillesse et des soins de santé. À cette liste s’ajoutent des pressions réelles sur les dépenses de défense, la transition énergétique et la politique industrielle, la R&D publique, ainsi que la réconciliation autochtone. Il est peu probable que le gouvernement puisse ignorer l’une ou l’autre de ces grandes questions politiques. En outre, il ne faut pas oublier le crédit d’impôt à la production accordé aux constructeurs automobiles pour la fabrication de nouveaux VE. Lorsque la production augmentera dans quelques années, des milliards de dollars de crédits seront versés.

    Toutes choses égales par ailleurs, les coûts relatifs du gouvernement seront plus élevés au fur et à mesure que nous progresserons.

  2. Les coûts du service de la dette resteront prohibitifs pendant un certain temps. Le service de la dette absorbe déjà 10,2 % des recettes totales du gouvernement. Il convient de noter qu’il s’agit d’une dette antérieure. Pour l’exercice financier en cours, le gouvernement devrait dépenser plus de 46 milliards de dollars rien que pour le service de la dette. Pour mettre les choses en perspective, le service de la dette cette année est inférieur de seulement 3 milliards de dollars au montant que le gouvernement verse aux provinces et aux territoires au titre des transferts en matière de soins de santé.

  3. Les prévisions économiques sont sombres. Jusqu’à présent, le Canada a évité la récession en grande partie grâce à la croissance démographique liée à l’immigration. Mais une récession est toujours possible. Les contraintes économiques qui nous attendent ne sont pas anodines : le PIB réel par habitant devrait reculer pour le sixième trimestre consécutif et la productivité reste un talon d’Achille pour le Canada. Il est peu probable que les recettes du gouvernement fédéral augmentent en raison d’une croissance économique plus forte que prévu pour la période de prévision économique de cinq ans.

  4. Les Canadiens doivent savoir que la capacité du gouvernement à tenir sa nouvelle promesse de maintenir les déficits en dessous de 1 % du PIB en 2026-27 et les années suivantes nécessiterait un changement de cap important et des décisions difficiles. À l’heure actuelle, le déficit est de 1,4 % du PIB. En supposant que le gouvernement n’introduise aucune nouvelle taxe et que la croissance économique reste faible, comme l’estiment la Banque du Canada et les organisations internationales, une réduction de 0,4 % implique des réductions de dépenses d’au moins 12 milliards de dollars par an, soit environ 50 milliards de dollars sur quatre ans. N’oubliez pas que depuis l’entrée en fonction du gouvernement Trudeau, les dépenses ont augmenté de plus de 5 % par an.

  5. Les événements imprévus représentent toujours un risque important pour les planificateurs budgétaires. Ces dernières années, nous avons connu une pandémie mondiale, des conditions météorologiques extrêmes, deux guerres et diverses menaces géopolitiques. La prudence financière est essentielle pour aider le Canada à se préparer à l’imprévu.

Conclusion

Le bilan de Trudeau-Freeland en matière de garde-fous ou de points d’ancrage budgétaires en dit long. Depuis 2020, le gouvernement fédéral n’a jamais atteint un objectif budgétaire qu’il s’était imposé.

Pour les raisons énumérées ci-dessus, il est très peu probable qu’il atteigne son nouveau point d’ancrage de 1 % de déficit par rapport au PIB en 2026 et dans les années à venir.