Cette lettre a été envoyée à l’honorable Chrystia Freeland, vice-première ministre et ministre des Finances, en prévision du budget fédéral de 2023.

Madame la Vice-Première Ministre,

En ce début de nouvelle année, les Canadiennes et les Canadiens auront de nouveaux défis à relever sur le plan économique.

L’inflation et les coûts d’emprunt élevés constituent une grande partie des budgets familiaux. Les employeurs sont aux prises avec une pénurie exceptionnelle de main-d’œuvre. La menace d’une récession imminente au Canada et dans d’autres économies avancées est largement répandue. Pourtant, même dans ce climat économique très précaire, il existe d’énormes possibilités que le Canada peut saisir – à condition d’agir immédiatement.

Dans un monde où le capital est mobile et où la course aux investissements et aux talents est intense, les décisions que les Canadiennes et les Canadiens prennent aujourd’hui pour affronter ces défis et en venir à bout seront déterminantes pour le bien-être de nos gens dans les années à venir.

En novembre dernier, lorsque vous avez présenté l’Énoncé économique de l’automne 2022, vous vous êtes engagée à « travailler assidûment pour que le Canada soit le meilleur endroit au monde où investir et créer des emplois bien rémunérés d’un océan à l’autre ».

Vous avez également invoqué le message du premier ministre Wilfrid Laurier à la Chambre des communes, en 1903, sur la nécessité pour les parlementaires de saisir cette occasion de peur que le pays ne soit mis à l’écart par des rivaux plus ambitieux : « Ce n’est pas le temps de discuter, c’est le temps d’agir. »

Nous sommes tout à fait d’accord. Les marchés détestent au plus haut point l’incertitude, et à l’heure actuelle, trop de questions sans réponse entourent les principales initiatives gouvernementales qui sont censées soutenir la transition menant à la carboneutralité, répondre à la loi sur la réduction de l’inflation du président américain Joe Biden et débloquer de nouveaux investissements du secteur privé. 

Les investisseurs veulent également savoir que votre gouvernement a un plan visant à maîtriser les dépenses de programmes, qui ont augmenté plus vite que l’inflation. Ils veulent obtenir l’assurance qu’un ralentissement économique n’entraînera pas de nouvelles augmentations du déficit fédéral.

Pour les raisons mentionnées précédemment, nous avons exhorté le gouvernement fédéral à présenter son prochain budget le plus tôt possible, et au plus tard à la fin du mois de mars.

Pour contribuer à faire du Canada un chef de file dans les industries de demain, le budget de 2023 doit proposer des mesures concrètes pour renforcer notre sécurité économique nationale et la capacité des entreprises canadiennes à être concurrentielles à l’échelle mondiale. À notre avis, les priorités suivantes sont de premier ordre :

Plan budgétaire responsable

La prudence budgétaire est de mise lors d’un ralentissement de l’économie, comme vous l’avez vous-même reconnu dans le récent Énoncé économique de l’automne. Pourtant, malgré les affirmations selon lesquelles le gouvernement réserve ses atouts financiers en vue des défis et des crises à venir, les dépenses fédérales continuent d’augmenter à un rythme insoutenable – ce qui soulève de sérieux doutes quant à la prévision d’un budget équilibré en 2027-2028.

Dans l’Énoncé économique de l’automne 2019, le gouvernement fédéral prévoyait dépenser 421 milliards de dollars au cours de l’exercice 2024-2025. Les dernières prévisions des dépenses pour cette année-là sont de 505 milliards de dollars, soit 20 % de plus que les projections du budget de 2019. Pour citer William Robson, président et chef de la direction du C. D. Howe Institute : « Nul besoin d’une récession ou d’une crise financière pour révéler que dépenser sans cesse plus pour tout ne mène à rien de bon. » [traduction]

Dans le cadre du budget de l’an dernier, le gouvernement a annoncé un « examen de la politique stratégique » qui, dans sa première phase, visera des économies totales de 6 milliards de dollars sur cinq ans. Un tel examen vaut mieux qu’aucun, mais relativement parlant, les économies prévues sont négligeables, s’élevant à moins d’un dollar d’économies pour tous 330 $ de dépenses fédérales.

À notre avis, le moment est venu de procéder à un examen rigoureux et complet des programmes, semblable à celui qui a été amorcé par le gouvernement dirigé par Jean Chrétien en 1994-1995 et repris par le gouvernement Harper en 2011. L’examen des programmes de 1994-1997 a permis de réaliser des économies de 29 milliards de dollars sur une période de trois ans, à une époque où les dépenses fédérales totales ne représentaient que 40 % des niveaux actuels.

Il est temps également que le gouvernement fédéral adopte un point d’ancrage budgétaire significatif. On assume souvent que le fardeau que représente le service de la dette diminuera au fil du temps si la croissance économique est supérieure à la hausse des taux d’intérêt, mais dans le contexte actuel, nous ne pouvons plus supposer que ce sera le cas. Lorsque les taux d’intérêt grimpent plus rapidement que la croissance, il n’existe pas de solution facile : le financement par emprunt devient beaucoup plus lourd pour les contribuables.

Nous partageons l’avis de l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge, selon lequel, à l’avenir, le gouvernement devrait s’engager à faire en sorte que les coûts liés au service de la dette ne dépassent pas 10 % des revenus annuels du gouvernement.

Appui à la transition énergétique

Certes, le gouvernement fédéral a mis en œuvre ou proposé une série de politiques utiles pour soutenir l’évolution de la situation énergétique du Canada, mais il manque un sentiment d’urgence. D’autres pays – notamment les États-Unis – agissent plus rapidement pour attirer les investissements qui seront nécessaires pour parvenir à un avenir où les émissions de carbone seront moindres. Sans une réponse ambitieuse du Canada, nous risquons de perdre de précieux capitaux humains et financiers.

Le budget de 2023 doit donc répondre au défi concurrentiel de la loi américaine sur la réduction de l’inflation par des mesures proportionnelles visant à soutenir les industries et les technologies qui contribuent à la décarbonisation. Il faudrait notamment :

  • un plan pour rationaliser le processus d’évaluation des répercussions et raccourcir les délais d’approbation des projets qui contribuent aux objectifs climatiques et économiques du Canada;
  • un plan d’action national et multilatéral qui positionne le Canada comme un principal fournisseur mondial de minéraux essentiels;
  • un engagement à mettre au point, en étroite collaboration avec l’industrie pétrolière et gazière, une trajectoire de réduction des émissions pour le secteur qui soit économiquement et techniquement réalisable;
  • des mesures visant à améliorer l’accès aux capitaux pour les collectivités et les entreprises autochtones afin qu’elles puissent acquérir des participations en capital dans des projets d’exploitation de ressources naturelles; et
  • un ensemble prévisible de crédits d’impôt pour encourager les investissements dans les technologies propres.

Nous nous hâtons d’ajouter qu’aucune de ces recommandations ne se traduirait par de nouvelles dépenses substantielles de la part du gouvernement. Bien au contraire, le gouvernement pourrait réaffecter les fonds annoncés précédemment en rationalisant un large éventail de programmes des technologies propres existants. L’objectif serait de mettre en commun les ressources et de miser gros sur moins d’innovations clés offrant les plus grands avantages environnementaux et économiques.

Un tel programme de rationalisation pourrait inclure le nouveau Fonds de croissance du Canada, le Fonds stratégique pour l’innovation, l’Accélérateur net zéro et la Banque de l’infrastructure du Canada, ainsi que des fonds alloués pour la stratégie sur les minéraux critiques, la stratégie pour l’hydrogène, les petits réacteurs modulaires, les batteries, l’électricité propre, les combustibles propres et d’autres initiatives similaires.

Mesure pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre

Le bien-être économique futur du Canada dépend de l’immigration. C’est pourquoi le Conseil canadien des affaires a largement soutenu les récents efforts du gouvernement pour augmenter les cibles d’immigration annuelles.

Toutefois, accueillir davantage de nouveaux résidents permanents au Canada ne suffira pas à éliminer les pénuries de main-d’œuvre qui constituent un frein persistant à la croissance économique et aux investissements. Selon un sondage récent mené auprès de grandes entreprises canadiennes, 80 % d’entre elles ont déclaré avoir des difficultés à trouver des travailleurs. Les deux tiers ont annulé ou retardé des projets importants en raison de pénuries de main-d’œuvre, tandis que près d’un tiers a été contraint de délocaliser ses activités à l’extérieur du Canada.

Une première étape positive pour atténuer les pénuries de main-d’œuvre serait que le gouvernement révise le ratio entre l’immigration économique et les autres volets d’immigration. À cet égard, nous avons recommandé que 65 % des nouveaux résidents permanents de l’année prochaine soient des immigrants économiques ainsi que les membres de leur famille, plutôt que l’objectif actuel de 58 %.

Le gouvernement fédéral – en collaboration avec les autres ordres de gouvernement, les organismes de réglementation, les ordres professionnels concernés et le secteur privé – devrait également en faire davantage pour s’assurer que les nouveaux arrivants au Canada obtiennent le droit de travailler dans les domaines pour lesquels ils sont formés. Il pourrait notamment s’agir d’offrir des mesures incitatives aux provinces et aux territoires pour que les travailleurs formés à l’étranger qui demandent la reconnaissance de leurs titres de compétences au Canada reçoivent une décision dans les 60 jours.

Une étape supplémentaire consisterait à travailler avec les ordres professionnels à créer des processus ou des moyens pour que les futurs immigrants qui ont demandé à venir au Canada puissent commencer à perfectionner leurs titres de compétences avant leur arrivée. Cela réduirait encore le temps nécessaire pour faire reconnaître l’expérience acquise à l’étranger, permettant ainsi aux nouveaux arrivants d’entrer plus rapidement sur le marché du travail.

Protection visant à stimuler la sécurité économique du Canada

Dans les propos que vous avez tenus devant la Commission sur l’état d’urgence en novembre dernier, vous avez noté à juste titre que notre sécurité en tant que pays « est bâtie sur notre sécurité économique et que, si notre sécurité économique est menacée, c’est toute notre sécurité qui est menacée ». À l’instar des gouvernements, les entreprises canadiennes de toutes les tailles se retrouvent en première ligne de la bataille pour la sécurité économique. Des acteurs étatiques et non étatiques cherchent constamment à perturber les chaînes d’approvisionnement vitales, à voler la propriété intellectuelle et à compromettre les infrastructures essentielles.

Le gouvernement et les entreprises doivent travailler ensemble pour défendre les Canadiennes et les Canadiens contre ces attaques. La base d’une relation fructueuse et collaborative est un haut degré de partage de renseignements sur les menaces émergentes et évolutives. Les partenaires canadiens du Groupe des cinq ont donné à leurs organismes de sécurité les moyens de travailler en étroite collaboration avec les intervenants du secteur privé. Reconnaissant que le Canada ne peut pas être le maillon faible de la chaîne de sécurité économique avec nos partenaires commerciaux et nos alliés, nous vous exhortons à inclure dans le budget de 2023 des mesures supplémentaires pour protéger la sécurité économique du Canada. Il s’agirait notamment de donner au Service canadien du renseignement de sécurité les mêmes pouvoirs que ceux accordés précédemment au Centre de la sécurité des télécommunications pour partager les renseignements sur les menaces de manière proactive avec les intervenants du secteur privé qui sont le plus à risque.

Dans le discours fondateur que vous avez prononcé devant la Brookings Institution l’automne dernier, vous avez lancé un signal d’alarme pour que le Canada renforce ses partenariats économiques avec des pays qui partagent nos valeurs et qui souscrivent au principe de la primauté du droit. Pour ce faire, le Canada doit démontrer le sérieux qu’il attache à la sauvegarde et à la protection de nos réseaux intégrés, de nos chaînes d’approvisionnement et de nos infrastructures, en particulier mais pas exclusivement en Amérique du Nord.

En conclusion, Madame la Vice-première ministre, permettez-moi de vous remercier de cette occasion de partager notre point de vue sur les priorités du budget de 2023. Comme toujours, les chefs d’entreprise du Canada sont prêts à travailler avec vous et d’autres décideurs pour assurer une croissance économique durable et à long terme qui profite aux personnes et aux familles de toutes les régions et de toutes les classes sociales.

Je vous prie d’agréer, Madame la Vice-Première Ministre, l’expression de ma très haute considération.

Goldy Hyder