Madame la Vice-Première Ministre Chrystia Freeland, 

Alors que vous et vos collègues préparez le prochain budget fédéral, les Canadiens sont préoccupés par l’avenir économique du pays. La hausse de l’inflation et la forte hausse des prix de l’immobilier pèsent sur les finances des ménages. La dette fédérale a doublé en deux ans et est en voie d’atteindre 2000 milliards de dollars d’ici 2025. Victimes de la pandémie de COVID-19, un nombre important d’entreprises ont définitivement fermé leurs portes. Nous entrons dans une période où les couts d’emprunt seront plus élevés, ce qui mettra bon nombre de familles dans une situation encore plus précaire sur le plan financier. 

En plus de ces pressions, notre pays fait face à une série de défis structurels et macroéconomiques sérieux et bien documentés qui pèsent lourdement sur l’avenir des Canadiens. Ceux-ci comprennent une population vieillissante, une faible productivité, des taux anémiques d’investissement des entreprises et des tensions commerciales et géopolitiques mondiales croissantes qui assombrissent les perspectives des exportations canadiennes et des hommes et des femmes dont les emplois en dépendent. 

La marge d’erreur est donc mince, voire inexistante. Nous sommes néanmoins convaincus que le Canada a la capacité de relever ces défis et de sortir plus fort que jamais de la crise sanitaire et économique actuelle. Notre pays possède de nombreux atouts, notamment une population très instruite, un système d’immigration performant et d’abondantes réserves de ressources qui seront essentielles dans une économie à faible émission de carbone. Qui plus est, les travailleurs canadiens sont aussi créatifs, ingénieux et ambitieux que n’importe qui d’autre dans le monde. 

Le budget fédéral de l’an dernier indiquait que la croissance du PIB réel retomberait à environ 2 % en moyenne par année au cours des prochaines années. Nous savons que notre pays peut faire mieux. Le progrès est un choix. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Livre blanc sur l’emploi et le revenu de CD Howe a mis le pays sur la voie de la prospérité économique. Dans les années 1980 et 1990, l’acte de foi du Canada en faveur du libre-échange nord-américain a également relevé le niveau de vie, stimulé les exportations et créé de nouveaux débouchés pour les travailleurs canadiens. Ces deux plans de croissance étaient ambitieux et axés sur le long terme. 

En novembre 2020, dans un rapport intitulé Powering A Strong Recovery , nous avons soutenu qu’un plan crédible de croissance économique post-pandémique doit s’appuyer sur trois piliers principaux : les gens, le capital et les idées. Depuis, nous avons proposé des solutions dans chacun de ces piliers, notamment des programmes de formation continue de la main d’œuvre, la création d’une agence de projets de recherche avancée et l’élargissement du Programme Volet pour les talents mondiaux pour les immigrants hautement qualifiés. Nous avons été cohérents sur l’importance de la prévisibilité réglementaire pour stimuler les investissements des entreprises et sur le fait qu’une stratégie de croissance crédible nécessite des résultats clairs et mesurables dans le temps. 

Alors que la vague Omicron s’apaise, les Canadiens se tournent vers leur gouvernement pour trouver espoir et direction. Lorsque vous avez présenté la Mise à jour économique et financière de l’automne en décembre, vous avez dit que le Canada devait se concentrer sur la compétitivité et la croissance économique. Nous sommes tout à fait d’accord. Dans les pages suivantes, nous proposons cinq recommandations qui, selon nous, stimuleraient la croissance à long terme et assureraient un meilleur avenir à tous les Canadiens. 

1. Créer un environnement propice aux investissements privés 

Comme l’a noté le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, les investissements privés pendant la pandémie ont été considérablement plus élevés aux États-Unis qu’au Canada. La dernière enquête de la banque centrale sur les perspectives des entreprises contenait une lueur d’espoir à cet égard. Soixante-deux pour cent des entreprises ont déclaré qu’elles prévoyaient de dépenser davantage en machines et équipement au cours de l’année à venir que l’année dernière, le chiffre le plus élevé depuis 1999. 

Pour que les investisseurs et les entreprises donnent suite à ces intentions, ils doivent avoir confiance dans les perspectives économiques à long terme du Canada. De nombreux facteurs influent sur la confiance des entreprises, mais la compétitivité fiscale et l’environnement réglementaire sont parmi les plus importants. Pour répéter ce que nous disions l’an dernier, ce n’est pas le moment d’augmenter les impôts qui découragent la création d’emplois et l’investissement. Au lieu de cela, le gouvernement devrait signaler son engagement en faveur de la compétitivité fiscale en lançant un examen complet du système fiscal visant à simplifier le système d’imposition, à stimuler l’innovation et à réduire les obstacles réglementaires. 

Le gouvernement doit également être sensible au risque que la montée du protectionnisme américain décourage ou désavantage les investissements au Canada par des entreprises qui ont besoin d’un accès aux clients de l’autre côté de la frontière. Le budget de 2022 peut envoyer un signal fort sur la force de la relation canado-américaine en réaffirmant l’engagement du Canada envers la Feuille de route pour un partenariat renouvelé entre les États-Unis et le Canada. Les priorités comprennent la poursuite du plan d’action canado-américain sur les minéraux critiques, le renforcement des chaînes d’approvisionnement pour améliorer la sécurité et la résilience, et la coopération sur tous les aspects du développement et de la production de batteries. De même, le Canada devrait se faire le champion de la mise en œuvre complète de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) en tant que catalyseur clé du progrès économique et de la compétitivité de l’Amérique du Nord. 

2. Formation de la main-d’œuvre

Le nombre de postes vacants dans le pays est près d’un niveau record. Les employeurs de secteurs aussi variés que les technologies de l’information, la construction et l’agriculture peinent à trouver des travailleurs qualifiés. L’engagement de votre gouvernement à promouvoir des services de garde d’enfants abordables et de grande qualité contribuera à stimuler la participation au marché du travail, mais il faut faire davantage pour accroître et améliorer la qualité de la main-d’œuvre canadienne. Le dernier budget prévoyait des investissements importants dans la formation de la main d’oeuvre, y compris une initiative visant à intensifier les approches éprouvées menées par l’industrie et fournies par des tiers pour aider les travailleurs déplacés à saisir de nouvelles opportunités dans des secteurs en expansion. De tels partenariats public-privé sont le meilleur moyen de s’assurer que les employeurs disposent des talents dont ils ont besoin pour se développer. 

Pour améliorer la capacité d’innovation du Canada, notre pays doit développer un bassin plus grand de travailleurs possédant des compétences en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM). Le système d’immigration du Canada est depuis longtemps une source de nouveaux arrivants très instruits et talentueux, ce qui profite simultanément au marché du travail et à l’écosystème d’innovation du pays. Pour mieux attirer et retenir les talents internationaux en STIM, le gouvernement devrait améliorer le Volet des talents mondiaux afin d’accélérer davantage l’entrée de travailleurs hautement qualifiés. Le gouvernement devrait également établir une nouvelle voie accélérée vers la résidence permanente pour s’assurer que les travailleurs recrutés dans le cadre du Volet des talents mondiaux s’installent de façon permanente. Entre le lancement du programme en juin 2017 et août 2020, seulement 11 % des titulaires d’un premier permis de travail ont demandé la résidence permanente. C’est une occasion manquée d’attirer et de retenir une plus grande part des meilleurs esprits du monde. 

3. Développer une stratégie industrielle axée sur l’innovation 

Une succession de rapports au cours des dernières années ont fourni des recommandations judicieuses pour accroître la capacité de production du Canada et renforcer « l’offre » à plus long terme. Des comités d’experts nommés par le gouvernement et présidés par Dominic Barton et Monique Leroux ont recommandé de développer des stratégies industrielles dans des secteurs en croissance rapide tels que les technologies propres, les technologies agricoles et les biotechnologies. Ce sont des secteurs clés dans lesquels le Canada peut obtenir un avantage concurrentiel avec les bons partenariats public-privé à grande échelle. 

« Made in China 2025 », « Made in Germany 2030 » et les initiatives américaines « Build Back Better » sont de puissants exemples du type de politiques économiques intentionnels que nos concurrents mettent en place pour stimuler la croissance à long terme. Le niveau élevé de soutien bipartite à Washington pour des investissements publics plus importants dans la science et la technologie en général, et dans la recherche industrielle en particulier, reflète une compréhension commune de l’impératif économique moderne : les pays qui nourrissent puis exploitent pleinement leur capital intellectuel seront les celles qui réussissent dans l’économie du XXIe siècle. 

4. Investir dans des stratégies pour aider le Canada à atteindre ses objectifs de réduction des émissions de 2030 

La transition énergétique de l’économie mondiale est bien engagée, et le Canada est particulièrement bien placé pour contribuer à cette transformation et en bénéficier. 

Comme nous l’avons souligné dans un document que nous avons publié le 18 février intitulé Priorités immédiates du Plan de réduction des émissions du Canada pour 2030 , agir rapidement sur quatre priorités immédiates et à fort impact. Il est essentiel d’agir de manière agressive dans ces domaines pour atteindre l’objectif ambitieux de réduction des GES que le gouvernement s’est fixé pour 2030, dans seulement huit ans. De plus, ces quatre priorités offrent le plus grand potentiel pour débloquer d’importants bassins de capitaux privés à l’appui de l’avenir sobre en carbone du Canada : 

  1. Rechercher activement les opportunités de capture du carbone, y compris la capture, l’utilisation et le stockage du carbone industriel (CCUS) et les solutions basées sur la nature ; 
  2. Étendre considérablement le réseau électrique canadien à faibles émissions de carbone; 
  3. Améliorer le rôle du Canada dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine des véhicules zéro émission; 
  4. Favoriser les partenariats public-privé dans la R&D industrielle pour stimuler l’innovation et les technologies d’avant-garde. 

Permettez-nous d’en développer deux spécifiquement : l’électrification et les technologies d’avant-garde. 

Actuellement, 82 % de l’électricité du Canada est produite à partir de sources n’émettant pas de GES. Cela représente un avantage concurrentiel potentiel dans un monde où les entreprises cherchent de plus en plus à décarboner la production de biens manufacturés. Mais pour atteindre nos objectifs climatiques, le Canada doit, au minimum, doubler sa capacité de production et l’infrastructure pour la fournir. 

Nous devons également faire mieux en matière de développement et de commercialisation de produits et de services innovants et respectueux du climat. L’Institut canadien pour des choix climatiques estime que les « valeurs sûres » telles que les véhicules électriques, l’équipement pour améliorer l’efficacité énergétique et les nouvelles technologies de chauffage et de refroidissement peuvent contribuer au moins un tiers des réductions d’émissions nécessaires pour atteindre l’objectif de 2050 du Canada. Le reste devra provenir de technologies « génériques » qui sont actuellement sous-développées ou qui n’existent peut-être même pas encore. L’Agence canadienne de projets de recherche avancée (CARPA) proposée pourrait augmenter considérablement la capacité du Canada en matière d’innovation radicale, à condition qu’elle bénéficie d’un degré élevé d’autonomie, d’une mission axée sur des projets à haut risque et à forte récompense et d’un mandat clair pour faire les choses différemment.  

5. Assurer la pérennité des finances publiques

Dans le budget de 2021, le gouvernement fédéral a prévu 140 milliards de dollars pour stimuler l’économie au cours des cinq prochaines années. Vous et vos collègues avez promis 78 milliards de dollars de dépenses supplémentaires lors de la campagne électorale de 2021. À notre avis, ce niveau de dépenses est injustifié et, en fait, risque de faire plus de mal que de bien étant donné que la plupart des indicateurs économiques indiquent une économie qui fonctionne déjà presque à pleine capacité.   

Sur la base de la trajectoire actuelle, les dépenses de programmes en pourcentage du PIB dépasseront 15 % dans un avenir prévisible, un ratio jamais vu depuis la crise financière de 2008. On peut toujours espérer que des déficits importants seront compensés par une croissance plus élevée du PIB, mais c’est un risque considérable à prendre au nom des générations futures. La politique budgétaire devrait être utilisée judicieusement pour améliorer la capacité de production à long terme du Canada, plutôt que de stimuler davantage une économie qui dépend déjà trop de la consommation des ménages. 

À l’avenir, une nouvelle cible budgétaire est nécessaire pour rassurer les prêteurs et assurer une certaine discipline budgétaire au sein du gouvernement. Plutôt que d’utiliser un ratio de la dette au PIB en baisse comme cible budgétaire, nous recommandons que le gouvernement en adopte un basé sur les coûts du service de la dette, en gardant à l’esprit que les taux d’intérêt et les coûts du service de la dette devraient augmenter au cours des prochaines années. Comme l’a proposé l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge, le gouvernement devrait veiller à ce que le service de la dette future ne dépasse pas 10 % des recettes publiques annuelles. Nous demandons également au gouvernement d’entreprendre un examen systématique et généralisé des dépenses fédérales visant à économiser de 1 à 2 % des dépenses de programmes sur une base annuelle au cours du mandat actuel. Cela serait conforme à l’engagement du Parti libéral dans sa plateforme électorale de 2015 de s’assurer que les dépenses fédérales sont toujours « équitables, efficaces et responsables sur le plan financier pour les Canadiens.»


En terminant, permettez-moi de réitérer notre conviction que les Canadiens ont besoin et méritent une feuille de route économique qui inspire l’optimisme pour l’avenir du pays. Les chefs d’entreprise du Canada ont travaillé en étroite collaboration avec vous et d’autres décideurs tout au long de la pandémie pour assurer le bien-être des Canadiens. Nous nous engageons également à collaborer avec vous dès maintenant pour assurer une croissance économique durable à long terme qui profite aux personnes et aux familles de toutes les régions et de tous les horizons. Il y a beaucoup de travail à faire, mais ensemble, nous pouvons le faire. 

Sincèrement,