Comme publié dans The Hub

Après une année 2023 difficile, le premier ministre Justin Trudeau et la ministre des Finances Chrystia Freeland entament la nouvelle année sous forte pression pour mettre à l’épreuve la portée du bilan du gouvernement fédéral.

Pour rester au pouvoir, le gouvernement fédéral devra probablement lancer un plan d’assurance-médicaments de plusieurs milliards afin de tenir la promesse qu’il a faite au Nouveau Parti démocratique. Les élections fédérales, lorsqu’elles auront lieu, ne feront qu’attiser les demandes de dépenses supplémentaires. Les défis structurels liés au vieillissement, à la politique industrielle, à la défense, à la réconciliation autochtone et à la transition énergétique ajoutent à la pression.

Par conséquent, les 12 à 18 prochains mois seront marqués par un débat intense sur l’état des finances nationales, ainsi que sur la marge de manœuvre budgétaire qui reste disponible et sur la manière de l’utiliser au mieux.

Nous sommes d’avis que le gouvernement fédéral devrait résister à toute tentation d’alourdir le cadre budgétaire à un moment où la dette a explosé, les taux d’intérêt ont augmenté et la croissance s’est ralentie. D’autres seront plus optimistes. Les acteurs politiques s’efforceront d’encadrer le débat de manière stratégique afin de rallier le public à leurs positions.

Afin d’éclairer le débat à venir, nous proposons quelques observations qui, selon nous, méritent d’être soulignées.

Dette nette

Commençons par rappeler qu’il existe plusieurs façons de mesurer la dette et la viabilité. Selon l’indicateur préféré du gouvernement, la dette nette, la situation budgétaire du Canada semble bien meilleure que celle de la plupart des grandes économies, un fait que le gouvernement actuel a soulevé à maintes reprises pour justifier ses dépenses.

Mais cet indicateur a ses limites.

La dette nette est une mesure étroite qui déduit les actifs financiers de l’État des dettes réelles. Dans le cas du Canada, il s’agit notamment des actifs en forte croissance détenus par le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec. L’idée fondamentale est qu’il s’agit du meilleur moyen d’évaluer la solvabilité à long terme puisque, en théorie, l’État peut recourir à ces actifs financiers pour rembourser sa dette en cas de besoin.

Ce concept est toutefois quelque peu théorique, car il est difficile d’imaginer qu’un gouvernement puisse s’emparer des fonds de pension de la nation, même en cas de crise.

La dette nette est également moins utile pour analyser les compromis réels que les gouvernements doivent faire en temps réel. Le fardeau du remboursement de la dette est ce qui importe réellement pour l’élaboration du budget, et les coûts d’emprunt peuvent accabler les finances d’un pays et saper la croissance bien avant que le risque d’un défaut de paiement ne se concrétise.

Les mesures de la dette brute et les indicateurs réels du service de la dette donnent une image plus précise des contraintes fondamentales auxquelles sont confrontés les planificateurs budgétaires. Et ces indicateurs offrent des comparaisons internationales beaucoup moins rassurantes.

Ne pas tenir compte de la trajectoire

Lorsque nous examinons la situation budgétaire du Canada, nous suggérons de ne pas tenir compte des projections à moyen terme du gouvernement, qui prévoient toujours une amélioration de la dynamique de la dette et une trajectoire descendante du déficit qui s’approche de l’équilibre, mais ne se concrétise pas.

Dans sa mise à jour fiscale de novembre, la ministre Freeland s’est même engagée à établir une « règle » en 2026 pour empêcher le déficit de dépasser à nouveau 1 % du PIB — ce que nous ne trouvons pas crédible sur la base, entre autres facteurs, de la règle de Bill Parcells.

Pour prévoir les déficits futurs du gouvernement Trudeau, il faut s’inspirer de l’ancien entraîneur des New York Giants, Bill Parcells, qui a affirmé que votre bilan indique qui vous êtes.

Entre 2017 et 2022, le gouvernement Trudeau a enregistré des déficits représentant en moyenne 1,4 % du PIB, après correction des fluctuations de l’activité économique — ce qui, non sans hasard, correspond à peu près aux prévisions de déficit pour 2023 et 2024. C’est notre meilleure hypothèse de base pour l’avenir dans un scénario de croissance et de taux d’intérêt modérés.

Les dépenses comptent

Les dépenses actuelles ne sont pas compatibles avec une réduction significative des niveaux de déficit. La part des dépenses dans le PIB — 17,8 % au cours des deux prochaines années — est structurellement la plus élevée depuis les années 1990.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral n’a réussi à enregistrer un déficit inférieur à 1 % du PIB qu’à deux reprises lorsque les dépenses dépassaient le seuil de 17 %. C’était entre 1996 et 1998, tout au début d’une période de dix ans d’assainissement budgétaire.

En fait, l’histoire nous apprend que les risques sont asymétriques et tendent vers la hausse à ces niveaux de dépenses. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les déficits ont atteint en moyenne plus de 4 % au cours des années où les dépenses ont dépassé 18 % du PIB.

Il s’agit d’un résultat intuitif. Les contraintes liées à l’augmentation des recettes sont plus nombreuses que celles liées à l’augmentation des dépenses.

Les dépenses et les déficits aux niveaux actuels sur une période prolongée ne sont pas nécessairement instables tant que la croissance économique est robuste, mais nous n’avons pas ce luxe compte tenu de nos chiffres de productivité catastrophiques et du vieillissement de la population.

À l’heure actuelle, le risque le plus important est peut-être que nous entrions dans une ère où les frais de la dette publique dépassent la croissance des recettes — une inflexion dangereuse pour la dynamique de la dette.