Par John Manley, tel qu’initialement publié dans The Globe and Mail.

Je sais à quel point il est difficile d’être un ministre des Finances libéral. Les libéraux croient que le gouvernement agit pour le bien de la société et qu’il existe pour trouver des solutions aux problèmes. Le ministre des Finances, qui ressent les mêmes instincts et qui est entouré de collègues au sein du Cabinet et du caucus impatients de réaliser leurs idéaux, n’a donc pas la tâche facile.

Par contre, cette personne ne doit pas seulement agir à titre de partenaire qui contribuera à concrétiser la vision de ses collègues et de son premier ministre. Un ministre des Finances assume également la responsabilité, pour le gouvernement, d’exercer une certaine prudence. Il peut espérer atteindre les meilleurs objectifs, et même les surpasser, mais il doit être prêt à faire face à des résultats moins reluisants. Les économies n’affichent pas toujours les rendements prévus, les programmes défoncent parfois leurs budgets, et des inondations, des incendies et des tempêtes de verglas s’abattent parfois sur un pays. Un ministre des Finances doit veiller à ce que la prochaine génération n’ait pas à porter le fardeau du coût des mesures qu’il autorise.

À l’heure actuelle, le Canada, avec son économie en croissance, de sains niveaux d’emploi, des institutions solides et un haut degré de cohésion sociale, est un des pays les plus enviés. Mais nous risquons de subir un grand bouleversement découlant de facteurs exogènes. Et nous empruntons du même coup de l’argent pour satisfaire des désirs immédiats.

Le Canada a passé 30 ans à  tisser des liens économiques de plus en plus intégrés avec les États-Unis. Aujourd’hui, il se voit confronté à la possibilité que l’ALENA soit voué à l’échec et que les chaînes d’approvisionnement transfrontalières soient perturbées. Grâce à notre accès préférentiel au marché américain et à notre plus faible taux d’imposition des entreprises, qui représentait un avantage de longue date, notre pays était un endroit intéressant pour les investissements. Non seulement l’accès à ce marché est dorénavant incertain, mais nous avons maintenant perdu, en raison d’un simple trait de plume, cet avantage fiscal.

Bref, au moment de dresser le budget présenté cette semaine, le ministre des Finances, Bill Morneau, devait composer avec de nombreuses incertitudes : l’ALENA, des taux d’intérêt à la hausse, un fort endettement des ménages et la perte soudaine de l’avantage que constituait notre taux d’imposition des sociétés.

Je sais maintenant à quel point le ministre doit être cynique lorsqu’il reçoit des conseils de regroupements de gens d’affaires comme le mien. Lorsque j’occupais son poste, j’avais les mêmes sentiments. Je me rappelle avoir répondu de manière insolente à un groupe en lui disant que s’il n’aimait pas les impôts, il pouvait aller s’installer dans un état muni d’infrastructures déficientes et d’un faible niveau de sécurité. De tels groupes semblaient toujours vouloir le beurre et l’argent du beurre en demandant du même souffle des budgets équilibrés et des réductions d’impôt.

Mais voilà la réalité : le Canada fait face à une vigoureuse concurrence internationale pour des investissements. Et il n’y a rien de plus facilement effrayé qu’un dollar destiné à l’investissement. Tous les objectifs que veulent atteindre les libéraux ne pourront être atteints que si l’économie du pays affiche une croissance stimulée par des investissements.

Le budget renferme de nombreux éléments auxquels je suis favorable. Je ne crois pas qu’il soit prudent d’apporter des changements radicaux à notre régime fiscal sans y avoir réfléchi suffisamment, ou de gonfler le déficit pour permettre des réductions d’impôt. Mais il n’est tout simplement pas prudent de permettre que les dépenses grugent toutes les recettes additionnelles générées par une plus grande croissance, comme le fait le gouvernement. Qui plus est, en n’indiquant pas de manière tangible qu’il comprend l’ampleur de nos défis sur le plan de la compétitivité, le gouvernement éloignera les investissements qui sont nécessaires pour bâtir le Canada que nous voulons.

Désolé, Monsieur Morneau, ce n’est pas simple! Si ce l’était, n’importe qui pourrait être ministre des Finances.