Lorsqu’il est question de politique fiscale, la qualité importe autant que la quantité
Lettre d’opinion publiée dans The Globe and Mail
Trevin Stratton est économiste en chef et vice-président,politiques à la Chambre de Commerce du Canada. Robert Asselin est le premier vice-président, politiques publiques au Conseil canadien des affaires.
Lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé en mars dernier, le gouvernement fédéral a pris des mesures afin de faire parvenir une aide financière aux nouveaux chômeurs, optant pour la rapidité d’exécution du programme plutôt que le perfectionnement de la conception du programme.
Au cours des sept derniers mois, Ottawa a dépensé près de 20 % du PIB canadien sur l’aide financière au revenu pour les particuliers et les entreprises. Aucun autre État membre du G20 n’est même parvenu à ce niveau de dépenses en réponse à la pandémie relativement à la taille de son économie.
Compte tenu des plus récents engagements de dépenses pris dans le cadre du dernier discours du Trône, il n’est pas difficile d’imaginer le Canada en train de se sortir de la crise actuelle au cours de l’année 2022 avec une dette publique fédérale excédant les 100 % du PIB, le taux de chômage se situant deux points au-dessus de celui de février 2020, une perspective réduite pour son secteur des ressources naturelles et un déficit commercial grandissant, le tout combiné à une demande accrue de dépenses en matière de santé et de soins de longue durée.
En l’espace de quelques mois, le gouvernement du Canada a créé pas moins de 68 nouveaux programmes de soutien liés à la COVID-19 — 76 si l’on inclut les mesures de soutien fiscal à la liquidité. Cela comprend des plans de base mis à jour afin de remplacer les programmes précédents tels que la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC).
À cela s’ajoute le récent discours du Trône qui promettait des milliards de dollars en nouvelles dépenses en matière de soins aux enfants et d’assurance-médicaments, un nouveau système d’assurance-emploi (AE) et une formation professionnelle. Nous aurons probablement une meilleure idée du coût de ces engagements d’ici quelques semaines lorsque la ministre des Finances, Chrystia Freeland, fera le point sur la situation économique et fiscale.
Dans un environnement dans lequel l’opinion publique est de plus en plus polarisée, les débats sur la politique fiscale et l’ampleur du déficit ont mené à des prises de position fermement opposées. Soit l’on s’oppose à l’augmentation des dépenses et l’on est donc un ennemi juré des déficits, soit l’on appuie les dépenses et l’on ne se préoccupe pas du fardeau de la dette publique.
Évidemment, en réalité, il existe tout un océan de zones grises entre ces deux positions entièrement opposées l’une à l’autre. Les gouvernements n’ont pas à prendre de décision parmi un choix binaire d’options, soit celle de dépenser et celle d’austérité budgétaire. Aucune personne sérieuse n’appelle à l’austérité en pleine urgence sanitaire et économique sans précédent. Toutefois, les dépenses ne sont pas toutes égales à l’origine.
Les faibles taux d’intérêt et l’assouplissement monétaire quantitatif sans précédent, environnement dans lequel la Banque du Canada achète des obligations d’État ou d’autres actifs financiers afin d’injecter des fonds dans l’économie, ont réussi à assombrir un débat important sur la qualité et l’efficacité des dépenses liées à la COVID-19 fondées sur un financement déficitaire.
Selon la RBC, le gouvernement fédéral a transféré plus d’argent (56 milliards de dollars) aux ménages canadiens grâce à la PCU et à d’autres programmes au deuxième trimestre de 2020, qu’il n’en a perdu en versement des traitements et salaires résultant de la pandémie (23 milliards de dollars). Par conséquent, le revenu net disponible des ménages a grimpé à 11 %. Pour mettre ces 23 milliards de dollars en perspective, cette somme est égale à celle ayant été dépensée l’année dernière sur l’Allocation canadienne pour enfants, soit le transfert d’argent direct aux Canadiens le plus important du gouvernement fédéral. [Traduction] « Nous avons une puissance fiscale considérable dans le compte-chèques des Canadiens », a affirmé Dave McKay, chef de direction de la RBC, dans une entrevue accordée au Globe and Mail le mois dernier.
L’intervention fiscale solide du gouvernement fédéral face à la COVID-19 a sans aucun doute permis d’assurer la viabilité de notre économie tout au long de la crise. Ce serait une erreur de laisser les Canadiens à eux-mêmes en dépit de la crise. Même si une intervention fiscale robuste a été manifestement justifiée, avions-nous à augmenter notre ratio dette-PIB de 20 % en seulement six mois? Avec la deuxième vague du virus faisant actuellement rage, n’aurions-nous pas dû nous conserver davantage de puissance de tir fiscale afin de nous assurer que les personnes et les entreprises les plus gravement touchées puissent continuer de compter sur du soutien à long terme? Finalement, est-ce qu’une plus grande part de l’argent aurait pu avoir été accordée à la création d’une économie plus productive, notamment en mettant à niveau les compétences des travailleurs et en effectuant des investissements ciblés en R et D?
Il est temps d’adopter une approche axée sur la qualité — et non pas la quantité — du soutien. Comme le gouverneur de la Banque du Canada l’a dit à la fin du mois d’octobre, nous serons dans cette situation pour un bon moment. Un vaccin efficace pourrait ne pas être largement disponible avant l’année prochaine, ou même plus tard. Les décideurs politiques doivent se concentrer étroitement sur la nature des dépenses fiscales. De plus, se sauver d’affaires grâce à des taux d’intérêt faibles n’est pas une stratégie économique en soi. En fait, nous propulser hors de la récession en surstimulant potentiellement les marchés immobiliers et en exacerbant davantage la dette du secteur des ménages pourrait créer des effets négatifs réels et durables.
Les ressources publiques à notre disposition étant limitées, nous devons examiner soigneusement le rendement du capital investi relatif aux dépenses du gouvernement. Certains programmes sont plus bénéfiques que d’autres. Certaines politiques contribueront davantage à la croissance économique que d’autres. Assurons-nous que les dépenses du gouvernement se concentrent sur la qualité plutôt que sur la quantité.