Le parcours vers la véritable réconciliation économique

Lettre d’opinion publiée dans The Globe and Mail.

JP Gladu est président et chef de la direction du Canadian Council for Aboriginal Business. Goldy Hyder est président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires

Le 30 janvier, Cenovus Energy Inc. s’est engagée à verser 50 millions de dollars sur cinq ans pour construire de nouvelles maisons, qui sont absolument nécessaires, dans six communautés des Premières Nations et Métis qui se trouvent près de ses exploitations de sables bitumineux, dans le Nord de l’Alberta. La société s’est également engagée à élaborer des programmes de formation pour les résidents locaux, à fournir des bourses aux jeunes Autochtones et à dépenser au moins 1,5 milliard de dollars en contrats avec des entreprises autochtones et exploitées par des Autochtones au cours des dix prochaines années.

Le chef de la direction de Cenovus, Alex Pourbaix, affirme que cette initiative est « une façon importante de participer à la réconciliation avec les peuples Autochtones » et c’est effectivement le cas.

Mais elle fait également partie d’une tendance d’accueil, bien qu’elle soit sous‑estimée, vers un engagement plus poussé et significatif entre les communautés Autochtones et le milieu des affaires du Canada.

En voici quelques exemples :

  • À Bedford, la compagnie Clearwater Seafoods Inc., dont le siège social est en Nouvelle‑Écosse, l’une des plus grandes compagnies de fruits de mer en Amérique du Nord, a annoncé une entente historique en mars 2019, avec 14 Premières Nations de la Nouvelle‑Écosse et de Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Le partenariat de 50 ans pour développer la pêche aux palourdes de Stimpson permettra de fournir des emplois et des millions de dollars en retombées au moyen du partage des recettes, de la formation et de l’approvisionnement auprès de fournisseurs autochtones.
  • Suncor Energy Inc., la plus grande société d’énergie intégrée au Canada, a forgé des alliances capitalistiques avec des communautés des Premières Nations du Québec et de l’Alberta. La dernière alliance — l’acquisition d’une part de 49 % dans un important projet de sables bitumineux par les Premières Nations Fort McKay et cri Mikisew en 2017 pour la somme de 503 millions de dollars — représente l’investissement d’entreprise le plus important à ce jour par une entité des Premières Nations au Canada. Suncor est également un acheteur principal de biens et de services des entreprises autochtones. En 2018, la société a dépensé 703 millions de dollars en achats directs provenant de 83 fournisseurs et entrepreneurs autochtones. Cela équivaut à près de 10 fois les dépenses habituelles du gouvernement fédéral au cours d’une année pour l’approvisionnement auprès des entreprises autochtones.
  • Horizon North Logistics Inc., un fournisseur de services industriels et de solutions modulaires dont le siège social est à Calgary, a établi 30 partenariats avec des communautés autochtones de tout le pays. À l’échelle nationale, 14 % des employés de la société s’identifient comme étant de descendance autochtone.
  • Fortis Inc., une société de portefeuille offrant des services d’électricité dont le siège social est à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, a établi un partenariat avec 24 communautés des Premières Nations pour développer, être propriétaires et exploiter 1 800 kilomètres de lignes de transport dans le Nord‑ouest de l’Ontario. Le projet — dont 51 % appartiennent à des Premières Nations — permettra aux communautés éloignées d’être connectées au réseau provincial, éliminant ainsi la nécessité de produire du diesel.
  • Jusqu’à maintenant, les entreprises autochtones ont gagné des contrats d’une valeur de 620 millions de dollars pour aider à construire le Coastal GasLink, un projet de gazoduc de 670 km qui transportera le gaz naturel du Nord‑est de la Colombie‑Britannique jusqu’à la côte, afin de fournir le terminal d’exportation prévu de LNG Canada à Kitimat, en Colombie‑Britannique (le projet est actuellement l’objet d’un conflit entre 20 Premières Nations qui ont négocié des ententes avec Coastal GasLink et les chefs héréditaires Wet’suwet’en, qui affirment que le projet n’a aucune autorité sans leur consentement.)
  • Au cœur de ce que plusieurs voient comme un moment décisif dans le développement économique autochtone au Canada, trois différents groupes d’investisseurs autochtones se sont alliés pour financer l’achat d’une part majoritaire dans le gazoduc Trans Mountain (TMX) d’une valeur de 13 milliards de dollars. « Le fait que TMX appartienne majoritairement à des Autochtones fera une différence », affirme Delbert Wapass, président dirigeant du Conseil et fondateur de l’un des groupes, Project Reconciliation. Les promoteurs indiquent que la propriété du gazoduc par les autochtones permettra de créer une richesse générationnelle pour les peuples autochtones du Canada, tout en améliorant les conditions sociales et la protection de l’environnement.

Dans le cadre de tels projets et partenariats, les peuples autochtones revendiquent la place qui est la leur dans toutes les fibres du tissu social du Canada, y compris dans les affaires. Aujourd’hui, l’économie autochtone participe à hauteur d’un montant estimé à 31 milliards de dollars au produit intérieur brut du Canada. Si elle continue de croître à ce rythme, elle risque d’atteindre 100 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.

Les solides relations entre les communautés autochtones et la communauté des affaires en général contribuent à une économie canadienne plus forte et plus équitable. Elles permettent de sortir les gens de la pauvreté, apportent de l’espoir et des possibilités pour les générations actuelles et futures; des possibilités qui ne peuvent pas être réalisées lorsque les communautés s’en remettent au gouvernement comme seule source de revenus. La Couronne aura toujours des obligations fiduciaires envers les peuples autochtones, mais elles ne permettent pas à elles‑seules l’autodétermination. Ce n’est qu’en choisissant le développement économique que les communautés peuvent s’affranchir et s’autosuffire davantage.

Pour leur part, les entreprises progressistes apprennent que lorsqu’elles s’engagent de façon significative auprès des communautés autochtones et facilitent la croissance des entreprises autochtones, tout le monde y gagne. L’achat de biens et de services auprès des entreprises autochtones aide à assurer un accès à des marchés plus compétitifs, crée de nouvelles possibilités de formation et améliore les résultats sur les plans social et économique pour la communauté en général. Il permet également d’établir une relation de confiance et augmente les occasions de partage des connaissances. Comme le dit le chef de la direction de Enbridge Inc., Al Monaco, « Lorsqu’un engagement est pris de façon efficace, l’expertise autochtone mène à de meilleurs résultats sur les plans environnemental, culturel et économique ».

Et lorsque les communautés autochtones participent à titre de propriétaires de capitaux propres, ils deviennent les champions de ces projets, ce qui permet de créer une certitude et entraîne davantage d’investissements et de croissance. Voilà le parcours vers la véritable réconciliation économique.