Publié dans le Financial Post

Ayant été aux États-Unis à plusieurs reprises au cours des derniers mois, on m’a rappelé que les responsables américains ne nous regardent pas au Canada à travers des lunettes roses. D’un point de vue métaphorique, ils nous regardent à travers ces vieilles lunettes 3D jetables en carton et plastique avec une lentille rouge (républicaine) et une lentille bleue (démocrate).

Il y a très peu de choses que les républicains et les démocrates voient d’accord ces jours-ci, nous devons donc prendre note lorsqu’il y a un consensus bipartite émergent sur le Canada. Lorsque les responsables américains regardent le Canada à travers des lentilles rouges et bleues, trois questions leur sautent aux yeux : les importations de produits laitiers, la taxe sur les services numériques et les dépenses de défense.

Ces trois questions posent un risque particulier pour les relations canado-américaines parce que, dans chaque cas, la Maison-Blanche et le Congrès estiment que le Canada ne respecte pas les engagements que nous avons pris envers eux. Quelle que soit notre propre compréhension des politiques canadiennes dans ces domaines, les Américains ont l’impression que nous revenons sur notre parole.

En ce qui concerne les produits laitiers, qui ont été soulevés lors de la rencontre du premier ministre Trudeau avec la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi au Sommet des Amériques à Los Angeles, les États-Unis ont demandé une deuxième série de consultations sur le règlement des différends, affirmant que les restrictions canadiennes contreviennent aux engagements pris dans l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).

La question concernant la taxe sur les services numériques du Canada est semblable. La représentante au Commerce des États-Unis, Katherine Tai estime que le projet canadien d’une taxe unilatérale sur les services numériques pourrait à la fois violer l’ACEUM et nuire à une initiative historique du Canada, des États-Unis et de 135 autres pays visant à mettre en œuvre un impôt minimum mondial pour les sociétés.

L’OCDE a maintenant confirmé publiquement que ces négociations prennent plus de temps que prévu, ce qui signifie que la mise en œuvre de tout impôt mondial qui en découlerait a été repoussée d’au moins un an. Le Canada n’est pas responsable pour cela, mais le fait que nous prévoyons toujours d’aller de l’avant avec notre propre taxe ne fera qu’en perturber plus d’un aux États-Unis.

Les irritants vont toutefois au-delà du commerce et de la fiscalité. Malgré une augmentation bienvenue des dépenses de défense dans le budget fédéral d’avril, les représentants américains continuent de noter que le Canada ne respecte toujours pas son engagement envers l’OTAN d’investir l’équivalent de deux pour cent du PIB dans la défense. L’ambassadeur américain David Cohen a publiquement fait référence à un récent rapport du DPB indiquant que nous n’y parviendrons pas au cours des cinq prochaines années.

Pris ensemble, ces problèmes pourraient avoir de graves conséquences sur notre sécurité économique future. Lorsque l’ALENA est devenu l’ACEUM, il a acquis une nouvelle fonctionnalité – une clause de révision – qui permet aux États-Unis de se retirer de l’accord en 2026. Sans savoir qui sera alors à la Maison-Blanche, le risque est trop grand pour que l’on puisse l’ignorer.

De plus, ces problèmes rendent plus difficile de contester les États-Unis sur leurs propres politiques – comme les crédits d’impôt potentiels pour les véhicules électriques (VE), les dispositions d’approvisionnement « Buy America » et les tarifs sur le bois d’œuvre – sans parler de proposer de nouvelles entreprises communes pour améliorer la vie et les moyens de subsistance des Canadiens et des Américains. Nous nous heurtons toujours aux trois mêmes obstacles.

Nous devons changer les perceptions à Washington sur chacune de ces trois questions et rétablir la confiance. Cela ne signifie pas céder à la pression lorsque nous devons affirmer notre souveraineté, mais simplement respecter nos engagements et rappeler à nos alliés américains que notre partenariat transfrontalier inégalé comporte plus de trois dimensions.

Les prochaines réunions de la Commission du libre-échange de l’ACEUM à Vancouver constituent un bon point de départ. La CLE réunira des fonctionnaires de niveau ministériel du Canada, des États-Unis et du Mexique pour évaluer le fonctionnement de l’accord et déterminer comment il pourrait être amélioré. Il s’agit d’une étape cruciale sur la voie de la révision de 2026.

Les réunions de la CLE marqueront la deuxième visite de l’ambassadeur Tai au Canada en un peu plus de deux mois. Le Canada devrait l’accueillir avec de nouvelles propositions sur la manière dont nous pourrions aborder une ou plusieurs des déconnexions actuelles. Si elle rapporte à Washington que le Canada a fait une tentative de bonne foi, cela aidera à désamorcer une situation dangereuse.

Mais si le Canada est perçu comme ignorant les préoccupations américaines, cela pourrait être saisi par ceux qui cherchent à attiser le sentiment protectionniste lors des élections de mi-mandat aux États-Unis en novembre. La dernière chose dont le Canada a besoin, c’est que le prochain Congrès soit composé de sénateurs et de représentants qui ont fait campagne avec succès contre le libre-échange continental.

Soyons clairs, il est essentiel pour le Canada que l’ACEUM soit non seulement un succès, mais qu’elle soit perçue comme un succès aux États-Unis. À cette fin, il est résolument dans l’intérêt national du Canada que nous soyons perçus comme un partenaire résilient et fiable qui honore ses engagements. C’est l’image que nous voulons donner aux Américains lorsqu’ils nous regardent.