Rédigé pour The Globe and Mail

Lorsque le président américain Joe Biden a lancé le Cadre économique Indo-Pacifique pour la prospérité (Indo-Pacific Economic Framework for Prosperity, IPEF) en mai dernier, beaucoup ont été surpris que le Canada ne figure pas parmi les membres fondateurs de l’accord économique. Le Canada, comme les États-Unis, est une nation du Pacifique qui a des intérêts stratégiques dans la région. Ottawa et Washington se sont également engagés à travailler ensemble pour renforcer le commerce mondial fondé sur des règles.

Le gouvernement fédéral a minimisé l’absence du Canada, faisant valoir que nous avons déjà un accord commercial régional – l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) – et que nous négocions des accords bilatéraux avec d’autres pays du Pacifique. Mais il y a lieu d’espérer que le gouvernement reviendra sur sa position et que le Canada présentera une demande officielle d’adhésion à cette nouvelle initiative menée par les États-Unis.

Ce serait une évolution positive. Compte tenu de la forte interdépendance des économies américaine et canadienne, notre pays doit saisir l’occasion de jouer un rôle dans la définition du nouveau contexte commercial mondial. Si le Canada veut vraiment accorder la priorité à la région Indo-Pacifique et étendre notre influence dans la région, il est évident que nous avons intérêt à participer à autant d’efforts régionaux que possible.

Certes, l’IPEF n’est pas parfait. De l’aveu même de l’administration Biden, il s’agit d’un travail en cours. Raison de plus, donc, pour que le Canada y adhère dès le début et contribue à le façonner. En effet, l’accord vise à promouvoir la facilitation du commerce, la résilience de la chaîne d’approvisionnement, les progrès en matière de commerce numérique et les normes environnementales, qui sont tous des priorités canadiennes.

Bien entendu, le PTPGP présente des avantages que l’IPEF n’offre pas, mais cela n’a rien de dichotomique. Le Canada peut adhérer aux deux, tout comme l’Australie, le Brunei, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, Singapour et le Vietnam. L’adhésion à l’IPEF renforcerait également nos liens avec d’autres pays du Pacifique qui ne sont pas membres du PTPGP : l’Inde, l’Indonésie, la Corée, les Philippines, la Thaïlande et, oui, les États-Unis.

Je suis actuellement en Inde à la suite de la publication d’un rapport commun du Conseil canadien des affaires et du Conseil de commerce Canada-Inde qui plaide en faveur d’un resserrement des liens économiques entre nos deux pays. Mes rencontres ici avec des dirigeants des secteurs public et privé ont renforcé ma conviction que, pour être pris au sérieux, le Canada doit être plus actif dans les forums régionaux.

J’ai connu le même sentiment à la suite d’un voyage en Corée du Sud plus tôt cette année. J’ai entendu des représentants du gouvernement et des chefs d’entreprise déplorer le manque d’engagement relatif du Canada dans la région Indo-Pacifique et se demander pourquoi nous ne faisons pas partie d’une liste croissante d’accords régionaux soutenus par les États-Unis, notamment l’IPEF, le Dialogue quadrilatéral sur la sécurité et le pacte de sécurité trilatéral AUKUS.

Le premier ministre Justin Trudeau a laissé entendre que l’administration Biden n’aurait pas besoin de l’IPEF si les États-Unis étaient membres du PTPGP. Mais tous reconnaissent que l’adhésion des États-Unis au PTPGP est extrêmement improbable – voire impossible – compte tenu du climat politique actuel aux États-Unis. M. Biden, bien qu’il ait été l’un des premiers partisans du partenariat transpacifique, comme on l’appelait auparavant, ne montre aucun signe de volonté de revenir sur la décision de son prédécesseur de se retirer.

Le PTPGP illustre bien la raison pour laquelle le Canada devrait adhérer à l’IPEF. À l’origine, le Canada n’était pas membre du PTP, la clé du virage de Barack Obama vers le Pacifique. Lorsque Donald Trump s’est retiré des pourparlers, le Canada et les autres pays du PTP ont pu sauver un accord. Cela n’aurait pas été possible si les États-Unis n’avaient pas utilisé leur pouvoir rassembleur pour amener ces pays au bord d’une percée.

Il convient de rappeler que la réticence initiale du Canada à adhérer au PTP a été défendue par le fait que notre pays avait déjà un accord commercial « de référence » avec les États-Unis, l’Accord de libre-échange nord-américain, et que nous étions sur le point de négocier des accords bilatéraux avec d’autres pays du Pacifique. Cet argument n’a pas fait ses preuves pour le pour le PTP, et il ne fera pas ses preuves pour l’IPEF.

Les détracteurs tirent la mauvaise leçon du PTP. Ils craignent que l’intérêt de Washington pour l’IPEF s’estompe après les élections de mi-mandat américaines ou l’élection présidentielle de 2024. Même si cela s’avère être le cas, l’expérience du PTP montre qu’il est toujours possible de sauver un accord valable. En réalité, nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve, si ce n’est que le Canada ne sera pas à la table lorsque les ministres de l’IPEF se réuniront le mois prochain.

En fin de compte, c’est le plus grand risque – que le Canada soit laissé à l’écart, et que notre partenaire économique le plus proche négocie de nouvelles normes commerciales et obtienne de nouveaux engagements régionaux auxquels nous devrons nous conformer, mais sur lesquels nous n’aurons pas eu notre mot à dire. Il est essentiel pour nous d’être en phase avec les États-Unis sur l’avenir du commerce international, et cela implique de faire partie de l’IPEF.