Comme publié dans La Presse

Mais dans les faits, la décision du conseil de direction de la Banque de hausser le taux directeur à 4,75 % est lourde de conséquences. Elle marque un pivot important dans la lutte contre l’inflation dont les deux ordres de gouvernement doivent prendre acte. Qui plus est, elle impose un changement de direction dans la conduite de leurs politiques budgétaires.

En signalant une pause lors de son annonce en janvier dernier, la Banque avait laissé présager l’arrivée de jours plus heureux en matière de contrôle des prix – l’atteinte d’un plafond qui nous ramènerait à un retour graduel à la cible de 2 %. Ce qu’elle nous a annoncé mercredi dernier est un revirement de taille : le travail est loin d’être terminé.

Signe que la hausse vertigineuse et rapide des taux n’a pas eu l’effet désiré, la force du marché du logement et celle du marché de l’emploi sont indéniables – et ainsi fondamentalement incompatibles avec une inflation contrôlée.

Dans son discours le lendemain de l’annonce de la Banque du Canada, le sous-gouverneur Paul Beaudry l’a reconnu d’emblée : « À la lumière de la dynamique récente de l’inflation fondamentale et de la demande excédentaire continue, nous avons convenu qu’il y avait maintenant un plus grand risque que l’inflation globale reste coincée nettement au-dessus de la cible de 2 %. »

Les marchés ayant déjà accepté une autre hausse de 25 points de base en juillet comme une réalité quasi incontournable, l’atterrissage en douceur que plusieurs nous avaient promis apparaît soudainement incertain.

Course contre la montre

À ce stade-ci, les banques centrales ne peuvent tout simplement plus prêcher la patience et la complaisance. Le temps est devenu un ennemi de taille dans la lutte contre l’inflation. Un affaiblissement du pouvoir d’achat ne constitue ni plus ni moins qu’une taxe additionnelle sur le revenu des Canadiens. Nous sommes dans une course contre la montre : plus les attentes d’inflation resteront ancrées, plus il sera difficile de contrôler la hausse des prix.

En choisissant de mettre tout le fardeau de la lutte contre l’inflation sur le dos de la banque centrale et en refusant ainsi d’ajuster leurs politiques budgétaires respectives, les gouvernements rament à contre-courant : ils contribuent à creuser le fossé des inégalités économiques, sociales et intergénérationnelles causées par la hausse des prix.

L’effet combiné des crises de l’inflation, du logement et de la productivité forme une nouvelle trinité d’une nocivité économique considérable pour la classe moyenne et les gens à faible revenu.

La décennie qui a suivi la grande crise financière de 2008 a été marquée par une demande insuffisante. Nous sommes maintenant ailleurs. La période post-pandémique en est une caractérisée par des contraintes importantes du côté de l’offre.

Il n’est pas insensé aujourd’hui de concevoir un monde dans lequel l’inflation et les taux d’intérêt resteront au-dessus des niveaux prépandémiques, où la croissance économique sera anémique et où la dynamique budgétaire se détériorera rapidement. Au lieu de travailler de concert, les trois fondements d’une politique économique saine – croissance (productivité), équité et stabilité des prix – se trouveront alors en conflit. Dans ce contexte, restaurer l’inflation à la cible de 2 % doit être l’objectif premier et partagé de la politique monétaire et budgétaire.