Publié dans La Presse

Paul Valéry, poète et critique littéraire français, a déjà dit : « Même l’avenir n’est plus ce qu’il était ». Pour toute personne née dans les années 1970, ce qui correspond à la date de naissance « moyenne » de nos 338 députés fédéraux, ce moment est tout sauf l’avenir auquel nous nous attendions.

L’ère de l’après-guerre froide apparaissait pourtant prometteuse. Nous savons maintenant que cette promesse ne s’est jamais concrétisée. Les dernières années ont plutôt été caractérisées par une anxiété économique généralisée, une polarisation politique accrue et un populisme grandissant.

Ce n’est pas que les 30 dernières années aient été exemptes d’évènements conséquents. Nous avons été témoins du terrorisme, de guerres et de récessions, et d’une crise financière majeure.

Mais il est de plus en plus évident que la gravité des défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui représente un point d’inflexion dans l’histoire moderne. Pour citer l’ancien secrétaire au Trésor américain Larry Summers dans un récent entretien, le moment présent exige que nous nous donnions une « nouvelle rigueur ».

Aucun d’entre nous n’aurait imaginé vivre une pandémie mondiale de cette ampleur et de cette durée. Et pourtant. Quel gâchis ! L’hécatombe de notre système de santé, nous répète-t-on, serait causée par son sous-financement. Pourtant, le Canada figure parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui dépensent le plus en soins de santé. Les dépenses totales en santé au Canada devraient atteindre un nouveau sommet à 308 milliards de dollars en 2021. À quand les vraies réformes structurelles ?

L’invasion russe en Ukraine a remis en question l’architecture et l’ordre libéral de l’après-Seconde Guerre mondiale que nous avons tenus pour acquis depuis trois décennies. Certes, l’intensification de la rivalité sino-américaine – et la nouvelle ère géoéconomique – a entraîné des changements importants dans les relations internationales. Mais cela n’a jamais directement menacé notre sécurité comme vient de le faire l’invasion russe en sol ukrainien. Alors que nous regardons les Ukrainiens se défendre courageusement avec des moyens limités, il est temps d’insuffler une nouvelle rigueur dans la conduite de notre propre politique étrangère et de défense.

Nous savons depuis un certain temps que les changements climatiques représentent une grave menace à l’humanité. Le consensus scientifique est clair : les conséquences seront bientôt irréversibles. Pourtant, il s’avère que le monde ne peut pas vivre sans énergie. L’offre actuelle n’est pas suffisante pour répondre à la demande croissante, ce qui explique la flambée du prix du baril de pétrole sur les marchés. La façon dont nous exécuterons cette nécessaire transition sera probablement le plus grand défi auquel nous devons faire face. Le sérieux s’impose encore.

Nous avons déjà vécu des périodes d’inflation soutenues, mais on a rarement vu une pression aussi intense sur les banques centrales dans le dénouement d’une crise économique aussi unique qu’imprévisible. Les gouvernements n’ont pas aidé la cause en « sur-stimulant » l’économie. Le recalibrage de la politique budgétaire sera essentiel. Mais pour les banques centrales, l’atterrissage d’urgence est périlleux : si les taux d’intérêt montent trop rapidement, cela créera très certainement une récession. S’ils augmentent trop lentement, l’inflation pourrait être encore plus difficile à contenir avec le temps. Compte tenu du niveau d’endettement public et privé, et alors que le gouvernement fédéral se prépare pour un budget attendu le mois prochain, il est temps de se donner une nouvelle rigueur dans notre politique budgétaire et la gestion de nos finances publiques.

L’économiste américain Robert Gordon est bien connu pour ses projections pessimistes sur la productivité et la croissance économique. Nous pouvons débattre des meilleures prescriptions pour faire croître notre économie à long terme, mais nous devons également être clairs sur les conséquences de l’inaction.

Le niveau de vie des générations futures diminuera si nous mettons au rancart la croissance économique. Alors que d’autres pays vont de l’avant avec leurs propres stratégies ambitieuses, il est temps que le Canada se donne de l’ambition.

Le populisme n’est pas un phénomène nouveau, mais les politiciens qui agissent en relais de théories complotistes et applaudissent les manifestations illégales ne constituent pas un développement anodin. Quelles que soient les causes, les conséquences sur notre vie collective sont réelles. Il est temps de prendre au sérieux la fragilité de notre démocratie.

À bien des égards, l’incertitude est un gage de notre nouvelle réalité. Certains de nos ancrages – il suffit de penser à l’ordre commercial international libéral, à notre système de santé, à la pérennité de notre planète et de nos finances publiques – sont désormais beaucoup plus vulnérables aux chocs futurs.

Dans de telles circonstances, le fatalisme n’est pas indiqué. Il n’a jamais été aussi important de croire en l’action humaine. Le progrès est un choix. L’histoire est là pour le démontrer.

Si la perfection n’est pas possible, des solutions sérieuses doivent pourtant émerger de notre système démocratique. Ce n’est peut-être pas l’avenir auquel la génération actuelle de dirigeants s’était préparée, mais c’est bien celui qu’elle doit maintenant confronter.