Comme publié dans The Globe and Mail

À l’aube de la publication du budget fédéral, le Canada fait face à trois défis puissants et convergents qui nécessitent une stratégie économique et budgétaire cohérente de la part du gouvernement.

Le premier défi concerne le retour de l’économie politique à l’échelle mondiale. Des États-Unis à l’Europe, en passant par l’Asie, les pays doivent relever les défis de la sécurité nationale et du changement climatique, tout en se livrant à une concurrence mondiale en matière d’innovation technologique et d’investissement. À présent, nul n’ignore l’existence de la loi américaine sur la réduction de l’inflation (U.S. Inflation Reduction Act). On ne saurait trop insister sur la menace qu’elle fait peser sur la compétitivité économique du Canada.

Le second défi concerne la viabilité du plan budgétaire actuel du gouvernement. La progression rapide des frais de service de la dette, la hausse de l’inflation sur une plus longue période et la diminution de la marge de manœuvre financière résultant du fait que la dette fédérale a doublé pendant la crise de COVID-19 sont autant d’éléments qui pèseront sur la propension du gouvernement fédéral à ignorer les conséquences réelles d’une dépense illimitée.

Le troisième défi — largement imputable aux deux premiers — concerne la nécessité d’une croissance à long terme. À défaut d’une croissance économique soutenue, les déficits de nos comptes courants et du budget fédéral continueront de se détériorer, entraînant une baisse inéluctable du niveau de vie des Canadiens.

Deux principaux moteurs sous-tendent la croissance économique à long terme. L’un d’eux est la croissance démographique. Le gouvernement a pris des mesures à cet égard. Il faut saluer l’augmentation de l’immigration hautement qualifiée, mais une politique d’immigration agressive n’est efficace que si nous stimulons l’autre moteur, la productivité, améliorant ainsi les salaires et le niveau de vie. Ici, les décideurs politiques font souvent l’erreur de confondre l’augmentation du PIB nominal avec le PIB par habitant, ce dernier étant bien plus important pour notre niveau de vie.

L’augmentation de la productivité — c’est-à-dire la production par travailleur — est le principal vecteur de la croissance économique. Or, à la lumière de l’expérience récente, ce n’est pas un objectif simple. Pour l’atteindre, il convient de prendre des mesures susceptibles d’améliorer la productivité dans tous les secteurs. Il convient en outre de privilégier l’expansion des secteurs les plus susceptibles d’améliorer la productivité du pays, même si c’est une approche politiquement plus délicate.

La composition industrielle d’un pays revêt une importance capitale. Certains secteurs génèrent une production par employé notablement plus élevée et peuvent accroître la productivité plus rapidement. Les secteurs de pointe sont essentiels pour atteindre cet objectif, car ils associent des investissements importants dans la R&D à une main-d’œuvre hautement qualifiée.

Les secteurs qui investissent massivement dans la technologie et l’innovation ont tendance à être plus productifs que les autres. Un pays doté d’une base manufacturière de pointe, exploitant l’intelligence artificielle, la robotique, la médecine génomique et l’informatique avancée, réalisera des gains de productivité notables. C’est là que se profilent les nouvelles limites de la compétitivité économique. L’économie politique liée à la production de semi-conducteurs n’est pas la même que celle liée à la fabrication de chaussures ou de T-shirts. L’une est développée hâtivement, l’autre moins.

Le Canada enregistre un déficit structurel notable du compte courant dans les secteurs de pointe, ce qui signale un affaiblissement de notre compétitivité économique. Un tel déficit montre que nous ne sommes pas en mesure de générer suffisamment de revenus à partir d’exportations de grande valeur pour payer nos importations de produits de pointe.

Le Canada est à même de concurrencer les secteurs de pointe. Nous pouvons être fiers de nos champions mondiaux dans l’aérospatiale, l’agroalimentaire, l’énergie et l’automobile, qui sont tous des secteurs de pointe. Le problème, c’est que ces champions sont trop peu nombreux.

Le ministre britannique Michael Gove a déclaré dans un récent discours : « au-delà d’être un entrepôt, un bazar et un marché hors taxes, une économie vigoureuse doit produire, fabriquer, créer, innover et façonner. » Il faisait référence à l’économie britannique, bien sûr, mais cela vaut tout autant pour le Canada.

C’est là que la politique industrielle moderne entre en jeu. Les enjeux sont de taille, car les politiciens utilisent fréquemment la politique industrielle pour justifier les diverses interventions gouvernementales qui se sont soldées par un échec. L’ancien secrétaire d’État au Trésor américain, Larry Summers, l’a d’ailleurs bien résumé : « J’aime les conseillers en politique industrielle comme j’aime les généraux. Les meilleurs généraux sont ceux qui détestent le plus la guerre, mais qui sont prêts à se battre quand c’est nécessaire. Ce qui m’inquiète, c’est que les personnes qui s’occupent de politique industrielle adorent faire de la politique industrielle. »

La conception et l’exécution de politiques ciblées sont primordiales. Il convient de mobiliser notre capital humain, de créer une architecture scientifique et technologique moderne capable de convertir le capital intellectuel en une expansion de nos secteurs innovants et de notre fabrication de haute technologie, de mettre en place des réseaux de communication adéquats entre la R&D publique et les secteurs, et de créer un environnement réglementaire et fiscal propice à la formation de capital. Dans les circonstances actuelles, il serait peu judicieux d’opter pour la solution de facilité, à savoir l’octroi de subventions à tous les secteurs et à toutes les régions du pays.

Obtenir les bons résultats politiques est plus important que l’opportunisme politique. Relever ces défis exigera un travail politique dépassant largement le cadre d’un seul budget.