Publié dans La Presse

Dans les circonstances économiques actuelles, deux tests bien spécifiques attendaient la ministre Chrystia Freeland dans le cadre de la présentation de son énoncé économique automnal : rassurer les marchés financiers en leur montrant que le gouvernement comprend l’importance de la prudence budgétaire et offrir une réponse à la stratégie industrielle musclée des Américains. Dans les deux cas, on frôle dangereusement la note de passage. On s’attendait clairement à mieux.

Sur la prudence budgétaire que la ministre s’est évertuée à promouvoir sur la place publique au cours des dernières semaines, il y a un écart considérable entre la rhétorique et la réalité reflétée dans l’énoncé économique.

Des 30 milliards en revenus supplémentaires pour l’exercice financier 2022-2023 (30 milliards, ce n’est pas rien !), la ministre dépensera près de la moitié (45 %) pour l’exercice en cours. On repassera pour la prudence.

Qui plus est, la proportion des dépenses fédérales en proportion du PIB est maintenant bien ancrée au-dessus de 16 % pour les cinq prochaines années, un ratio que le gouvernement fédéral a atteint seulement lors la crise financière de 2008-2009 et au début des années 1990, un épisode douloureux qui avait conduit à un redressement drastique des finances publiques par l’ancien ministre des Finances Paul Martin. C’est sans compter les dépenses à venir en santé, en défense, etc.

Sur le plan des prévisions économiques, l’énoncé est empreint de jovialité. Il ne prévoit ni de récession majeure ni de hausse soutenue des taux d’intérêt au cours des prochaines années. En fait, la projection de croissance du PIB réel sur les cinq prochaines années est en moyenne plus généreuse que celle que nous avons eue au cours des 20 dernières années ! À la défense du gouvernement, les prévisions sont établies par des économistes du secteur privé, ceux-là même qui nous ont dit que l’inflation serait transitoire !

Enjeu Panaméricain

Dans sa conférence de presse mercredi, le gouverneur de la banque centrale américaine, Jerome Powell, a été sans équivoque : pour ramener une inflation aussi soutenue sous contrôle, le taux directeur devra presque assurément dépasser 5 % aux États-Unis. Cela représente un point de pourcentage de plus que ce l’on croyait nécessaire il y a quelques semaines à peine.

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Aux États-Unis comme au Canada, les adeptes du scénario de l’atterrissage en douceur (soft landing) se font de plus en plus rares : ramener une inflation aussi persistante à sa fourchette de 1 à 3 % ne se fera pas sans heurts.

Ceux et celles qui pensent qu’il nous faut tolérer une inflation plus élevée pour éviter une récession ont le devoir d’expliquer en quoi l’affaiblissement considérable du pouvoir d’achat des Canadiens par rapport à leurs revenus est un objectif économique souhaitable à terme.

Avenir incertain

En définitive, les nuages s’accumulent rapidement sur l’horizon économique. Les risques restent énormes et la marge de manœuvre budgétaire du gouvernement fédéral s’est évaporée. Pour les prochaines années, il ne pourra plus compter sur une croissance économique supérieure aux taux d’intérêt que les marchés financiers lui exigeront pour refinancer sa dette. Cela aura pour impact d’augmenter les coûts du financement de sa dette considérablement.

Le deuxième test de la ministre était celui de l’amélioration de la compétitivité économique canadienne. Avec l’Inflation Reduction Act et le Chips and Science Act (d’une valeur combinée d’environ 460 milliards de dollars américains), personne ne doute plus de la robustesse de la stratégie industrielle américaine. La ministre Freeland a le mérite d’en reconnaître la portée sur notre compétitivité économique.

Dans l’énoncé de jeudi, elle pose les premiers jalons de la réponse canadienne en introduisant deux nouveaux crédits d’impôt ciblés sur les technologies propres et l’hydrogène. Elle nous annonce que des mesures additionnelles viendront au prochain budget. Soit, il faut donner la chance au coureur.

Force est de constater cependant que depuis quelques budgets, le gouvernement Trudeau s’éparpille en créant de nouveaux fonds, structures, agences et disperse les milliards ici et là. On a peine à y voir une stratégie industrielle crédible et bien ficelée dans des secteurs de pointe précis, avec des instruments clairs pour améliorer notre compétitivité.

Dans cet énoncé économique, il y a un sentiment de non-urgence qui agace. Avec un environnement économique aussi fragilisé et instable, on aurait voulu voir le gouvernement davantage préoccupé par ses angles morts grandissants.