Réévaluation du cadre réglementaire proposé pour le secteur pétrolier et gazier

Lettre à M. John Moffet, sous-ministre adjoint à la Direction générale de la protection de l’environnement, concernant la proposition de cadre réglementaire pour le plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier.

Monsieur le Sous-ministre adjoint,

L’année dernière, le Conseil canadien des affaires (CCA) a écrit au ministre de l’Environnement et du Changement climatique pour lui faire part de ses inquiétudes quant à l’intention du gouvernement d’imposer un plafond aux émissions produites par le secteur pétrolier et gazier du Canada. Après avoir examiné la proposition de cadre réglementaire publiée en décembre, nos préoccupations persistent et nous restons convaincus qu’un plafond d’émissions n’est pas nécessaire.

Dans notre lettre, nous écrivions que l’imposition d’un plafond au secteur pétrolier et gazier représenterait un écart important par rapport à l’approche nationale visant à réduire les émissions par le biais d’une tarification des émissions de carbone généralisée et indépendante du secteur. Le cadre réglementaire proposé ne fournit que peu de preuves que la compétitivité du secteur pétrolier et gazier sera protégée et que le gouvernement est sérieux dans sa volonté d’empêcher les fuites de carbone. Tel qu’il est rédigé, le plafond d’émissions pour le secteur pétrolier et gazier fait double emploi et déstabilisera les régimes de tarification du carbone et les marchés du crédit existants. 

Nous comprenons que le ministère de l’Environnement et du Changement climatique se concentre sur la réduction des émissions conformément au plan gouvernemental de réduction des émissions. Cependant, nous estimons qu’il serait irresponsable de la part du ministère de ne pas tenir compte du contexte économique actuel et des répercussions importantes qu’une proposition de plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier aura sur les Canadiens. 

Les perspectives du PIB du Canada pour cette année seront lamentables (0,6 %) et le Canada devrait être l’économie avancée la moins performante de 2020 à 2030 et de 2030 à 2060. Notre secteur énergétique est un pilier de l’économie du pays. Il représente plus de 10 % du PIB du Canada, détermine nos relations commerciales avec les États-Unis et soutient les salaires réels ainsi que les revenus des ménages et des retraités.

L’imposition d’un plafond d’émissions obligera probablement les exploitants à réduire involontairement leur production. Cela réduirait effectivement la capacité globale du segment le plus productif de l’économie canadienne à un moment où l’investissement et la croissance sont indispensables. Elle priverait également le Canada de sa capacité à utiliser ses richesses énergétiques à faibles émissions pour compenser les émissions mondiales et aider de manière significative ses alliés à relever leurs défis en matière de sécurité énergétique. 

Certains des économistes les plus réputés du Canada estiment qu’un plafonnement des émissions exacerberait les problèmes d’inflation et d’accessibilité financière du pays en provoquant un choc économique de grande ampleur qui réduirait les recettes fiscales et augmenterait la pression sur le déficit fédéral. Une baisse de 10 % de la productivité du secteur pétrolier et gazier entraînera une diminution de la production économique de l’Ontario et des provinces atlantiques de 0,6 et 0,5 % respectivement. Sur le plan national, cela se traduirait par une perte d’environ 35 milliards de dollars par an, soit près de 900 dollars par personne et par an.

Nous sommes heureux d’avoir eu l’occasion d’examiner la proposition de cadre réglementaire et de formuler trois commentaires :

  1. Les délais proposés sont irréalistes et en décalage avec les autres politiques.

Le cadre réglementaire précise que les règlements devraient entrer en vigueur en 2025 et que les entreprises devront commencer à remplir leurs obligations de conformité, en tout ou en partie, dès 2026. Des réductions d’émissions substantielles de l’ordre de 66 MTM devront être réalisées d’ici à 2030.

Le cadre proposé vise à réduire les émissions grâce à des technologies et des projets qui n’ont pas encore été déployés. Les investissements ne sont pas effectués sur la base d’une législation spéculative. Il est tout simplement irréaliste de penser que les projets, les technologies et les stratégies de décarbonisation seront déployés, autorisés et opérationnels en quatre ans.

En outre, les réductions d’émissions dans le secteur seront réalisées grâce à des projets qui ne bénéficient pas du soutien fiscal et réglementaire nécessaire pour garantir les investissements et être déployés à grande échelle. Le gouvernement doit encore mettre en œuvre des politiques clés qui aideraient l’industrie à réduire les risques liés aux investissements dans la décarbonisation. Parmi les éléments les plus urgents, citons les crédits d’impôt à l’investissement proposés pour accélérer les investissements dans le CUSC et une série de technologies propres, un protocole de compensation pour le captage et la séquestration du dioxyde de carbone direct de l’air, et un programme visant à créer des contrats sur différence pour le carbone. 

Les Canadiens continuent également d’attendre que le gouvernement respecte son engagement, pris il y a longtemps, d’améliorer le régime d’approbation et de délivrance des permis pour les projets de croissance propre au Canada.

  • La compatibilité avec les politiques et programmes existants de réduction des émissions n’est pas claire.

Le cadre réglementaire stipule que le plafond d’émissions sera conçu de manière à compléter et à tirer parti d’autres réglementations fédérales et provinciales afin de minimiser les coûts administratifs. Toutefois, il ne précise pas comment les performances d’un programme réglementé par la province seront traitées dans le cadre du plafond d’émissions fédéral. 

Nous craignons que les émissions du secteur pétrolier et gazier ne fassent l’objet d’une réglementation redondante dans le cadre des programmes fédéraux et provinciaux. D’un point de vue politique, un nouveau plafond d’émissions pour le pétrole et le gaz devrait fonctionner de concert avec les systèmes fédéral et provincial de tarification fondés sur le rendement, ce qui pourrait entraîner une duplication des régimes de tarification du carbone et un risque élevé de déstabilisation des prix du carbone, des marchés du crédit et des coûts de conformité futurs pour les actifs pétroliers et gaziers. Ce niveau d’incertitude sera d’autant plus élevé que les gouvernements de l’Alberta et de la Saskatchewan ont l’intention de contester la capacité du gouvernement fédéral à promulguer un plafond d’émissions valable sur le plan constitutionnel en vertu de la loi fédérale.

Les opérateurs pétroliers et gaziers ne sont pas différents des autres grands émetteurs au Canada. Elles ont besoin d’un niveau de détail suffisant de toutes les exigences réglementaires pour évaluer et déployer correctement le capital nécessaire pour décarboniser leurs activités et rester compétitives. À l’heure où nous écrivons cette lettre, il reste encore beaucoup à faire pour clarifier l’interopérabilité du plafond proposé avec les programmes fédéraux et provinciaux existants et à venir visant à réduire les émissions de pétrole et de gaz.

Enfin, un plafond d’émissions pour le secteur pétrolier et gazier augmenterait sans aucun doute la charge administrative et les coûts de mise en conformité pour la production de pétrole et de gaz au Canada, ce qui compromettrait la capacité des producteurs à fournir des produits compétitifs à leurs clients au Canada et sur les marchés internationaux.

  • Un plafond d’émissions pour le secteur pétrolier et gazier risque de détourner les capitaux de réductions d’émissions profondes et significatives.

Nos travaux précédents expliquent de manière générale les stratégies d’investissement mises en place pour décarboniser les émissions dans le secteur pétrolier et gazier. Le déploiement de ces stratégies nécessite une trajectoire politique claire et un effort concerté de la part du gouvernement pour respecter ses engagements d’accélérer les investissements et les approbations pour les projets de technologies propres. La politique climatique doit permettre une planification de la conformité à long terme en fournissant aux entreprises une voie politique visible qui s’aligne sur leurs stratégies d’investissement pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. 

Malheureusement, le cadre proposé pour le secteur pétrolier et gazier se concentre étroitement sur la réalisation de réductions d’émissions d’ici à 2030. Ses délais stricts pourraient contraindre les entreprises à détourner les capitaux de leurs stratégies de décarbonisation pour les orienter vers les voies de conformité proposées par le plafond d’émissions, le fonds de décarbonisation ou les crédits de compensation nationaux. Parallèlement, l’approche de plafonnement et d’échange peut rendre plus difficile la poursuite de l’approche collaborative du secteur en matière de réduction des émissions, car les entreprises seront en concurrence pour l’obtention de quotas gratuits.

Le gouvernement n’a pas encore fourni suffisamment d’informations sur chaque voie et sur la possibilité de l’exploiter pour soutenir les stratégies vastes et diverses mises en place par les entreprises pour parvenir à la carboneutralité d’ici à 2050. L’incapacité du gouvernement à décrire clairement chaque option de conformité risque de retarder les décisions définitives d’investissement et d’aggraver les conditions de fuite des capitaux des entreprises et de leurs investisseurs et actionnaires respectifs.

Le cadre réglementaire proposé ne permet guère d’inspirer confiance dans la capacité du plafonnement des émissions pétrolières et gazières à encourager les niveaux records d’investissement nécessaires pour réduire les émissions conformément à l’objectif ambitieux du Canada pour 2030 et à l’engagement de l’industrie à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Nous exhortons le ministère à adopter une vision à long terme et à développer un environnement réglementaire et politique propice à la confiance des investisseurs et au déblocage des capitaux nécessaires à la décarbonisation du secteur pétrolier et gazier en amont du Canada.

Sincèrement

Michael Gullo
Vice-président, Politique
Conseil des affaires du Canada

cc: Chris Forbes
Ministre adjoint
Finances Canada

Paul Halucha
Secrétaire adjoint du Cabinet (Croissance propre)
Bureau du Conseil privé

Jean Francois Tremblay
Vice-ministre
Environnement et changement climatique Canada

Michael Vandergrift
Sous-ministre
Ressources naturelles Canada